Corinne Narassiguin, Ex-députée (PS) des Français de l'étranger (1ère circo) invalidée par le Conseil constitutionnel a commenté sur le site du Nouvel Observateur le rejet des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy :
« Voilà une première dans la Ve République : le
Conseil constitutionnel a rejeté les
comptes de campagne d’un ancien président, candidat au second tour
de l’élection présidentielle.
C’est une innovation remarquable, mettant en place
une jurisprudence sévère au regard de la bienveillance qui avait jusque là
prévalu, surtout lorsqu'on pense à l’élection présidentielle de 1995.
Le
Conseil constitutionnel s’est ainsi astreint à faire
respecter scrupuleusement la loi, confirmant avec justesse la
décision de la commission nationale des comptes de campagne : Nicolas Sarkozy
avait tenté de dissimuler certaines dépenses de campagne en les faisant passer
pour des activités liées à sa fonction de Président de la République financées par
le contribuable. Et ce faisant, il a dépassé substantiellement le plafond des
dépenses de campagne.
Les sages sont tout aussi scrupuleusement restés
dans le cadre de la loi pour ce qui est des peines complémentaires : ils n’ont
pas d’opinion sur des peines d’inéligibilité puisqu’ils ne sont pas habilités à
en prononcer pour l’élection présidentielle. De quoi se poser des
questions sur le rôle que devrait jouer le juge de l’élection dans notre
processus démocratique.
Une interprétation surprenante du droit
électoral
Cette
décision à l’encontre de Nicolas Sarkozy vient à la fois en écho et
contradiction avec les décisions prises au sujet des candidats à l’élection
législative.
Le Conseil constitutionnel avait en effet déjà
créé une nouvelle jurisprudence d’une extrême sévérité concernant les comptes
de campagne des candidats aux élections législatives pour les
Français de l’étranger. J’ai déjà eu
l’occasion de m’exprimer à ce sujet suite à l’invalidation dont j’ai
fait les frais, au propre comme au figuré, en février dernier.
Comme certains députés de tous bords politiques
l’avaient d’ailleurs noté, ces décisions traduisaient une interprétation pour
le moins surprenante du nouveau droit électoral sur les dépenses de campagne à
l’étranger comme sur les peines complémentaires. Les sages avaient cru bon
d’invalider des comptes de campagne sur la base d’un cadre juridique totalement
inadapté à la réalité du terrain et créant des ruptures d’égalité entre
candidats si fortes qu’elles pourraient être considérées comme non
constitutionnelles.
De plus, ils ont prononcé des peines
d’inéligibilité pour une bonne douzaine de candidats pour des raisons purement
techniques et sans impact sur le scrutin, semblant faire fi de la loi de décembre
2010 censée protéger les candidats de bonne foi.
Mieux vaut tenter sa chance à l’élection
présidentielle
Cette stigmatisation systématique des
candidats Français de l’étranger paraît d’autant plus étrange que ce même
Conseil constitutionnel a su faire preuve de souplesse pour d’autres candidats
aux élections législatives dans des circonscriptions en France.
Certains candidats, comme le
député Pierre Morange, dont les comptes avaient été rejetés par la
commission nationale des comptes de campagne avaient ainsi vu leurs comptes
finalement validés.
D’autres candidats, comme le
député Daniel Boisserie ou l’ancienne députée Maryse Joissains-Masini,
ont vu leurs comptes de campagne rejetés mais sans peine complémentaire : les
sages ont considéré que le financement illégal de campagne par le biais de leur
IRFM (indemnité représentative de frais de mandat) n’était pas une faute grave,
ils sont donc toujours élus et éligibles. Visiblement, ignorer en tant que
député sortant que l’argent du contribuable sous forme d’IRFM ne peut pas
servir à faire campagne ne constitue pas, aux yeux du Conseil constitutionnel,
une "méconnaissance d’une obligation substantielle".
Note aux
Français de l’étranger : si vous voulez vous présenter à des élections, mieux
vaut tenter votre chance à l’élection présidentielle ou vous présenter aux
élections législatives dans une circonscription en France, c’est moins risqué.
Une décision définitive sans appel possible
Ces
incohérences de droit ou de fait dans les décisions prises par le Conseil
constitutionnel concernant les comptes de campagne des élections
présidentielles et législatives de 2012 amènent à s’interroger sur la validité
d’un processus où, pour les élections nationales, le Conseil constitutionnel,
qui n’est pas une cour de justice, est le seul et unique juge de l’élection. Instruction opaque, droits de la défense réduits
au minimum, décision définitive sans appel possible.
Quoi qu’on pense de la validité de la décision du
Conseil constitutionnel concernant les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy,
on peut parier que le trésorier de l’UMP aurait aimé qu’une procédure en appel
puisse être engagée…
Et je ne parle même pas des soupçons récurrents de
décisions politiques ou motivées par des considérations personnelles qui
surgissent à chaque décision rendue par le Conseil constitutionnel.
La prochaine réforme du Conseil
constitutionnel doit aller plus loin
Enfin, alors que la loi donne au Conseil
constitutionnel toute liberté pour décider de l’annulation d’élections et
prononcer des peines d’inéligibilité pour les élections législatives (malgré la
loi de décembre 2010, de toute évidence ineffective), pourquoi la loi ne
permet-elle pas à cette même instance de prononcer des peines complémentaires
pour les candidats à l’élection présidentielle ?
On comprend bien l’intention louable et très
pragmatique de ne pas mettre en danger la stabilité de l’État et d’éviter le
cauchemar que constituerait l’annulation d’une élection présidentielle.
Mais si d’aventure Nicolas Sarkozy avait été
réélu, tout étant reconnu coupable d’avoir tenté de truquer ses comptes de
campagne et d’avoir dépassé le plafond de dépenses autorisé – ce qui
objectivement peut avoir un fort impact sur l’issu du scrutin – quel aurait été
sa légitimité aux yeux de nos concitoyens et du monde entier ? Qu’aurions-nous
dit sur l’intégrité du processus démocratique de l’élection à la fonction
suprême ?
Alors qu’une réforme du Conseil constitutionnel est en préparation,
il semble utile et nécessaire d’aller plus loin que ce qui est suggéré
aujourd’hui, tant sur la composition du Conseil constitutionnel que sur sa
transformation en Cour constitutionnelle – comme proposé par des députés
socialistes – et le rôle exact que celle-ci devrait avoir en tant que juge de
l’élection.
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