2 décembre 2010

« Zéro de conduite » par Alain Lefeez


« J’ai reçu ce week-end dans ma messagerie un lien à cliquer. Ce lien m’envoie sur le site de l’AFEV qui me propose de signer un "appel pour la suppression des notes à l’école primaire".
http://www.afev.fr/appel_suppressionnotes/
Je suis normand, je ne suis pas spécialement pour le système de notation mais pas spécialement contre non plus. De plus au collège, dans les années 70, j’aurais préféré être noté avec des notes chiffrées plutôt qu’avec des lettres de A à E. Bref, je lis le texte de cet appel pour voir ce qu’il y a dedans. Premier souci ; je ne sais pas à qui s’adresse cet "Appel" ni à quoi il est supposé servir. Va-t-il être envoyé à Sarkozy ? A Fillon? A Chatel ? A eux seuls? Dans quel cadre?

Si son but exclusif, c’est d’ouvrir un débat sur le système éducatif en créant un début de polémique, alors là, bravo, c’est réussi. Pas question de le refuser, ce débat! Nous devons tous y plonger. Mais là, cet appel ne parle que "des notes à l’école" comme si c’était le principal problème de l’éducation. Cet appel ne fait preuve d’aucun courage politique, et s’appuie parfois sur des arguments qui frisent le ridicule. Comment peut-on critiquer un système de notation élitiste en s’appuyant sur un classement international en matière d’éducation (Finlande, 1ière du classement) ? La logique du raisonnement m’échappe complètement! Et puis ce "classement international", qui le réalise, pour quoi faire et sur quels critères?

Comment dénoncer un aspect d’un système éducatif sans dénoncer le système global dans lequel il s’insère? Le texte nous dit que "l’école gagnerait à s’appuyer sur une autre logique que celle de la compétition". Très bien, et admettons que telle ou telle action parvienne à faire de l’école un lieu qui ne soit pas celui de la compétition et de l’élitisme, mais celui du plaisir, de la coopération et du développement personnel et collectif. Que va-t-il advenir des élèves qui auront été ainsi formés face à cette chose terrifiante que l’on appelle "la société" quand on aura "supprimé les notes à l’école primaire", si on ne change pas le tout ? Quand les élèves rentreront chez eux le soir et constateront que leur père (ou leur mère) est, lui, dans le cadre de son travail, toujours noté et jugé sur la productivité, la compétitivité, voire, qu’il va être licencié pour ce motif : "pas assez compétitif", ou, quand il va entendre à la télé, à la radio, les élucubrations d’un Sarkozy, d’un Fillon, ou d’un Strauss-Kahn, parler de réduire les déficits publics en supprimant des postes d’enseignants, de RASED pour augmenter notre compétitivité ?

Cependant, je crois que la question soigneusement évitée dans cet "Appel"(ce qui nous vaut peut-être la signature de Michel Rocard) n’est pas tant celle des notes, que celle double, de la qualité de l’enseignement, de la formation des enseignants, et des moyens donnés à l’enseignement d’une part, et d’autre part de la critique du système social global dont le système éducatif n’est finalement qu’une partie, un instrument au service des intérêts de la classe dominante.

L’état de notre système éducatif et de l’enseignement public qui y est dispensé est dramatique. De la maternelle au lycée, et désormais au niveau des facultés. Dans notre pays, l’école publique gratuite et obligatoire remplit de moins en moins son rôle. Nous allons, comme aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne, vers un système éducatif à deux vitesses, ceux qui ont les moyens, ceux qui ne l’ont pas. Ceux qui auront les moyens en effet n’auront plus besoin de notes car on jugera globalement sur les circuits qu’ils auront pu se payer. L’école du fric contre l’école publique. N’était-il pas plus urgent, par exemple, de poser la question de la légitimité de l’existence de l’école privée dans ce pays, et de son financement par l’Etat? La question est à peu près la même que celle de la santé. D’un côté l’hôpital public et de l’autre des cliniques privées largement subventionnées par l’Etat.

Aussi, à un appel pour "supprimer les notes à l’école primaire", j’aurais largement préféré et trouvé beaucoup plus courageux, que ces personnalités et sommités, signent aussi et d’abord un appel en faveur des moyens accordés à l’enseignement en France, à l’accessibilité d’un enseignement public et gratuit de qualité pour tous, à l’aide à fournir aux enfants en difficulté, des moyens à donner aux enseignants, à la conception de l’éducation nationale et du service public.

Finalement il est donc bien possible que la suppression des notes contribue à continuer de pénaliser les plus fragiles et les plus précaires de nos enfants.
Supprimons d’abord les notations des salariés par les patrons dans les évaluations annuelles qui déterminent les augmentations et les primes et aussi, le cas échéant, l’ordre des licenciements. Supprimons en effet la compétition et l’élitisme. Et demandons d’abord aux enseignants et aux fédérations de parents d’élèves ce qu’ils en pensent.

Alain Lefeez

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