« En France, la loi interdit la sortie du territoire national de déchets, quels qu’ils soient, c’est-à-dire l’exportation de nos poubelles vers d’autres pays – essentiellement, les pays du tiers-monde –, plus généralement vers des pays pauvres qu’il suffit de rémunérer pour qu’ils nous en débarrassent… Et, bien entendu, au premier rang de ces déchets figurent les déchets nucléaires.
Jusqu’à présent, nous avons vécu avec le dogme maintes fois réaffirmé par les autorités compétentes, qu’elles soient celles d’EDF, d’AREVA, du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) ou de l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) : les combustibles usagés des centrales nucléaires sont retraités, recyclés et réutilisés à 96%. Seuls, les déchets dits ultimes font l’objet d’un conditionnement et d’un traitement particulier. Ajoutons à cela que l’énergie nucléaire n’affectant pas directement le bilan carbone, nous serions, à les croire, ainsi dotés d’une source d’énergie quasiment propre et renouvelable. Du presque parfait en quelque sorte !
Il semble pourtant que la vérité ne soit pas exactement celle-là même que l’on nous sert depuis des années, et loin s’en faut. Au terme d’une très longue et minutieuse enquête, Laure Noualhat, journaliste à Libération et Éric Guéret, réalisateur, avec l’aide de spécialistes de la CRIIRAD (Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité) ont remonté la filière du retraitement et suivi le parcours de ces déchets. Leurs résultats ont fait l’objet d’un remarquable document intitulé « Déchets, le cauchemar du nucléaire ». EDiFiant !
Officiellement, EDF est et reste propriétaire et responsable de l’ensemble des déchets produits par la cinquantaine de réacteurs nucléaires qu’elle a construit et qu’elle exploite sur le territoire national. Elle en confie le retraitement à AREVA, dans l’usine nucléaire de La Hague. Toutefois, dans la pratique apprend t-on, le rôle d’AREVA se limite à la première phase du retraitement du combustible nucléaire et à l’isolement des déchets ultimes représentant moins de 5% de l’ensemble. Pour être réutilisable l’uranium, mélangé au plutonium, doit ensuite être à nouveau enrichi. Au terme du processus, il constitue alors le MOX, combustible nucléaire recyclé. C’était là une des missions du site nucléaire de Marcoule. Sauf qu’aujourd’hui, il semblerait qu’il revienne moins cher de faire réaliser cette opération à l’étranger plutôt que sur le site français. C’est du moins la version officielle. Le marché a donc été confié à un opérateur extérieur, russe en l’occurrence, dont l’unité de production se situe en Sibérie, à Maïak, c’est-à-dire, loin, très loin…
Nous ne nous attarderons pas sur le long cheminement par trains et bateaux sur plus de 7000 kilomètres de ces produits hautement dangereux. Là n’est pas l’essentiel. La quantité ainsi exportée représente environ 80% de l’ensemble du combustible usagé. Curieusement, alors qu’on laissait croire que la totalité de ce dernier était réemployée, la quantité de MOX produite et réexpédiée vers la France ne serait que d’environ 4% de celle des produits envoyés. Et seuls quelques réacteurs nucléaires utiliseraient aujourd’hui le MOX comme combustible. Que devient par conséquent le reste ? Dans l’impossibilité de visiter les installations russes autour desquelles règne un secret bien gardé, nos journalistes ont semble-t-il pourtant trouvé la réponse. C’est le logiciel Google Earth qui le leur a fourni. Une photo satellitaire du site sibérien montre clairement l’endroit précis où sont stockés sur plusieurs hectares à ciel ouvert les conteneurs de déchets radioactifs provenant de France.
Officiellement, toujours selon EDF, ce ne sont pas des déchets. Ce sont des produits en attente de traitement. Ce serait même là, à en croire un de ses porte-parole, une sorte de trésor de guerre, utilisable en cas de tension internationale sur l’approvisionnement en uranium naturel. L’ennui, et il est de taille, c’est que ce « trésor de guerre » n’est nulle part valorisé au bilan de la société.
Cela ressemble donc à s’y méprendre à un transfert en bonne et due forme de nos déchets nucléaires dont la quantité devient d’année en année de plus en plus difficile à gérer au plan national. Quand on sait le peu de cas qu’ont fait sous l’ère soviétique et que font encore aujourd’hui les Russes de la santé de leurs populations et du respect de l’environnement, on reste sans voix devant le cynisme de tous ces beaux messieurs, ces beaux esprits, aristocratie de la technostructure républicaine. Ils sont les promoteurs de ce que nous découvrons aujourd’hui mais, placés devant leurs responsabilités, continuent de vouloir nous enfumer au mépris de l’éthique, de la démocratie, des lois et de l’intérêt de l’humanité tout entière. »
Reynald Harlaut, Parti de Gauche
Pour en savoir plus : Le Livre : Laure Noualhat, Déchets, le cauchemar du nucléaire, Éditions Le Seuil/Arte, Paris, 2009.
Le film en DVD : Éric Guéret et Laure Noualhat, Déchets, le cauchemar du nucléaire, Collection Grandes enquêtes, Arte Éditions, 2009.
(photo Le post)
1 commentaire:
comme quoi le caractère public du capital ne garantit rien quand au contrôle démocratique des activités économiques.
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