24 février 2009

La privatisation des routes nationales : une idée qui fait son chemin…

Il nous restera les chemins vicinaux…(photo JCH)
Privatiser les routes nationales. Il y a quelques années encore, cela n’aurait même pas pu faire un bon poisson d’avril tant la ficelle eut paru grosse. Eh bien cette année, cela ne pourra pas davantage en faire un ! Car c’est désormais une réalité qui va prochainement s’imposer à tous si nous ne nous y opposons pas avec la plus extrême fermeté pour faire reculer ce gouvernement.
Le sujet avait déjà été évoqué il y a quelques mois dans les pages de l’hebdomadaire Marianne. Mais cette fois-ci, les choses se précisent et s’accélèrent. Dans son numéro 51 du 21 au 29 février 2009, l’article de Gilles Carvoyeur intitulé « Et maintenant, des péages sur les routes nationales », sonne l’alerte.

Dominique Bussereau, secrétaire d’Etat chargé des Transports, auprès du 
ministre de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable, l’a officiellement confirmé lors d’un récent déplacement à Clermont-Ferrand : la route dite Centre-Europe-Atlantique (RCEA) sera privatisée et soumise à péage entre Maçon (Saône-et-Loire) et Montmarault (Allier), soit un tronçon de 180 kilomètres de cette route nationale. Ce n’est désormais plus qu’une question de mois. Et pour toute concession, les élus locaux auraient obtenu quelques kilomètres de franchise.

Pour justifier ce passage au privé, le ministre a invoqué le « très fort trafic sur cet itinéraire emprunté par beaucoup de poids lourds et des enjeux de sécurité routière » sur cet axe vital pour l’économie du Centre. Et René Beaumont , président de l’Arcea (Association pour la route Centre-Europe-Atlantique), élu de la majorité et, semble-t-il, partisan inconditionnel de la privatisation, lui a emboîté le pas avec cet argument imparable : « Si nous devions compter sur un financement public, il faudrait quarante ans pour finir les travaux ». Fermez le ban !

Mais Dominique Bussereau est homme raisonnable. Constatant que, de la sorte, l’automobiliste paierait deux fois, en tant que contribuable puis en tant qu’usager, il a décidé, dans un élan de magnanimité, de lancer « une étude qui examinera la possibilité de financer cette mise à 2x2 voies en confiant à un concessionnaire privé les travaux et l’entretien d’une partie de la RCEA. Ce concessionnaire se rémunérerait sur le produit des péages ». Ouf ! On respire ! On l’a échappé belle ! Et comme nous sommes encore en démocratie, les élus d’Auvergne et de Bourgogne auront même leur mot à dire sur les tarifs et sur l’emplacement des barrières de péages…Que pourraient-ils demander de plus ?

Une marche vers le futur qui s’apparente plutôt à un retour vers un lointain passé
Cette décision inquiétante appelle plusieurs observations. Il est intéressant de constater que les tenants les plus libéraux de la libre circulation des capitaux et des marchandises n’hésitent pas un seul instant à s’asseoir sur leurs principes et à installer des barrières lorsqu’il s’agit d’offrir à quelques uns des leurs la possibilité de faire des profits. A ce propos, à l’heure de la crise économique et financière mondiale, profitons-en à nouveau pour dénoncer la privatisation absurde des sociétés d’autoroutes entreprise à vil prix par le gouvernement de Villepin, en 2005. Réalisée dans un secteur non concurrentiel, elle a favorisé la flambée du prix des péages et privé l’État de ressources financières dont il aurait aujourd’hui le plus grand besoin.

En terme de rupture (sous-entendu selon la Droite, de progrès) nous dirons qu’il s’agit au contraire d’une formidable régression et d’un retour au passé qui nous ramène directement aux mœurs de l’Ancien régime, quand chaque petit seigneur féodal percevait des droits au franchissement du pont situé sur son fief. Que seront demain les futurs concessionnaires sinon de nouveaux féodaux ? Et pour faire bonne mesure, osons une suggestion. Elle n’est pas encore d’actualité, mais, au train où vont les choses, va le devenir : pourquoi donc ne pas rétablir l’octroi à l’entrée des villes où chacun acquittait une taxe pour faire pénétrer les marchandises ? Voilà donc le futur réjouissant vers lequel nous achemine lentement mais sûrement le sarkozysme. Car ne nous y trompons pas, si nous laissons demain les routes nationales se transformer en routes à péage, c’est un pas de plus dans cette voie que nous ferons. Et c’est à terme l’abandon pur et simple des acquis fondamentaux d’un peu plus de deux siècles d’État républicain.

Cette décision, si elle est prise, constituera un dangereux précédent. Déjà, la menace s’est faite jour en Bretagne, qui dispose, grâce à l’intelligence et à la clairvoyance de ses élus passés, d’un exceptionnel réseau de 2x2 voies gratuites, construites la plupart du temps sur le tracé des anciennes routes nationales. Ces routes furent totalement financées par les deniers publics, qu’il s’agisse de ceux de l’État, mais aussi ceux des collectivités territoriales qui mirent largement la main à la poche pour assurer le désenclavement et le développement de leur région. Et bien entendu, elles aiguisent d’ores et déjà les convoitises.

Enfin, cette décision constitue une grave entrave à la liberté individuelle. Aujourd’hui, il est encore possible de choisir, pour ceux que les autoroutes à péage incommodent, par principe, ou par nécessité pécuniaire, d’utiliser les routes nationales. C’est plus long mais c’est gratuit. Demain, ce choix leur sera refusé. Il ne leur restera plus pour se déplacer en dehors des autoroutes et des routes nationales à péage, qu’à emprunter les routes départementales – pour ceux qui ne les haïssent pas – et pour ces derniers, les chemins vicinaux.
Reynald Harlaut

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