6 octobre 2021

Jean Zay et Pierre Mendès France condamnés à Clermont : « Chaînons manquants » entre De Gaulle et Blum

Joan Mendès France (au centre) et Hélène Zay, à droite
Pour le meilleur…et pour le pire. Dans la salle des mariages de Clermont-Ferrand, cette formule rituelle est écrite sur les murs. Ces murs devant lesquels Jean Zay et Pierre Mendès France furent condamnés par le tribunal militaire du régime de Vichy après deux procès intentés contre de soi-disant déserteurs, juifs qui plus est. Sans revenir en détail sur l’affaire dite du Massilia, qu’on sache simplement que plusieurs députés français (dont Jean Zay, Pierre Mendès France, Pierre Viénot et Alex Wiltzer) prirent la mer en juin 1940 pour gagner le Maroc afin d’y poursuivre le combat contre les nazis au moment même où Pétain demandait l’armistice. Le maréchal saisit là l’occasion d’instrumentaliser le départ de ces élus de la nation pour les salir et par là même blâmer le gouvernement du Front populaire auquel les deux « amis-frères » avaient appartenu et devenu « le responsable de la débâcle ». Pierre Viénot fut condamné à une peine de prison avec sursis. Alex Wiltzer bénéficia d'un non lieu. Il faut dire que ni Viénot, ni Wiltzer n'étaient juifs !

Jean Zay, d'abord, connut le pire des sanctions : la déportation (1) le 4 octobre 1940 et Pierre Mendès France, ensuite, le 9 mai 1941, se vit infliger une peine de six années de détention sans oublier la suppression de ses droits civils. Jean Zay fut assassiné par la milice de Darnand après le débarquement des alliés du 6 juin 1944. Pierre Mendès France, s’évada de la prison de Clermont pour rejoindre la France libre et le général de Gaulle à Londres où il fit preuve d’un grand courage.

« Un peuple sans mémoire est condamné à revivre son histoire » (Mouloud Mameri). Cette formule illustre la nécessité que l’Institut Pierre Mendès France et l’Association des amis de Jean Zay (avec le cercle Pierre Mendès France clermontois) ont faite leur, d’où la journée de commémoration organisée à Clermont-Ferrand, lundi dernier, ouverte par Olivier Bianchi, maire (PS) de la ville, sur les lieux mêmes de l’infamie perpétrée par les théoriciens de la Révolution nationale. Cette terrible Révolution nationale symbolisée, notamment, par une justice militaire partiale (et plus tard avec les sections spéciales) dont on sait qu’elle est à la justice ce que la musique militaire est à la musique. Le pire parfois.


François Loncle et Vincent Duclert


François Loncle, le tout nouveau président de l’Institut Mendès France, en a profité pour fustiger certain impétrant révisionniste et potentiel candidat à l’élection présidentielle. A l’heure où l’antisémitisme et le racisme redoublent de vigueur, l’Institut PMF organisera dans les mois à venir une manifestation d’importance nationale dont les intervenants restent à définir. A quelques semaines du premier tour de l’élection, il ne sera, en effet, pas inutile de dénoncer les fausses nouvelles et de critiquer ceux et celles qui, au mépris des textes constitutionnels, veulent transformer la France en un apartheid d’un nouveau genre.

Pour évoquer les premiers procès du régime de Vichy, deux historiens se sont mis à l’ouvrage. Olivier Loubes, professeur à l’université de Toulouse et biographe de Jean Zay, a narré comment Vichy — et ses exécutants — ont voulu éliminer des opposants républicains. Cette dictature française a répandu l’idée que la république, celle « enjuivée du front populaire » était responsable de la défaite de la France face à l'Allemagne et ses alliés. Olivier Loubes a trouvé la bonne formule : Les procès de Clermont sont « les chaînons manquants » dans la mémoire collective entre le procès du général de Gaulle (condamné à mort) et le procès de Riom (celui de Léon Blum) d’où Vichy sortit en lambeaux au grand dam des nazis.

L’intervention d’Olivier Loubes, ciselée, permit se saisir la solitude carcérale mais aussi la profonde humanité de Jean Zay. Un homme livré à l’injustice, abandonné à lui-même et sa famille (une femme et deux enfants) et promis au sort funeste qui fut le sien. Hélène Zay-Mouchard, l’une des filles de Jean Zay, présente à Clermont, donna lecture d'un message de Pascal Ory et d’extraits de quelques lettres de son père, moment émouvant s’il en fut, illustration d’un fils, d’un mari, d’un père, d’un martyre, soutenu par l’affection des siens face à la broyeuse psychique que représente une innocence bafouée.

Olivier Loubes et Vincent Duclert
 Vincent Duclert, enseignant à Sciences Po Paris, chercheur à l’EHESS, mieux connu pour avoir présidé la commission sur le génocide Rwandais et directeur de l’édition des écrits de résistance de Pierre Mendès France (2) a bien décrit les mécanismes politique et juridique conduisant PMF à décider de s’évader après sa condamnation définitive. PMF, docteur en droit, construisit une défense argumentée, redoutable d’efficacité et pourtant impuissante puisque le jugement était écrit d'avance. Son évasion se justifiait tant elle symbolisait de sa part le refus absolu d’une machination destinée à condamner un homme dont le seul crime consistait à vouloir poursuivre le combat ! Combat qu’il assuma au sein de l’escadron Lorraine (Forces aériennes de la France Libre) avant de rejoindre le général de Gaulle à Alger dans le gouvernement provisoire de la République.

Avec Françoise Chapron, attachée scientifique de l’Institut PMF et cheville ouvrière de cette journée singulière, on crut entendre la voix de l’ancien président du Conseil, ancien député-maire de Louviers. Le choix des textes qu’elle lut a retenu toute l’attention du nombreux public présent — parmi lequel quelques étudiants (khagneux) du lycée Fénelon de Clermont — dont plusieurs membres furent très heureux d’échanger avec Hélène Zay-Mouchard ou Joan Mendès France toutes deux gardiennes vigilantes d’une mémoire familiale légitimement sublimée.

 

Hélène Zay-Mouchard avec les étudiants et leur professeur

(1) Aucun Français n’avait été condamné à la déportation depuis les procès des Communards de Paris après 1871. 

(2) Ecrits édités avec la collaboration étroite de Michel et Joan Mendès France ainsi que Simone Gros.

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