Le SERNAM,
ancien service national de messagerie, privatisé pour faciliter la concurrence
voulue dans le transport par la Communauté économique européenne (CEE), est en
mauvaise posture, menacé de fermeture pure et simple. 1.600 emplois sont en jeu
dans ce qui ressemble à un très mauvais feuilleton.
Car cette
affaire est exemplaire à plus d’un titre. Elle témoigne de l’aveuglement de
l’Europe (la CEE d’abord, puis l’UE ensuite), bardée de ses certitudes
idéologiques néolibérales et dont le credo est la règle de la concurrence libre
et non faussée, frisant l’obsession maladive. C’est aussi la parfaite
illustration de l’incompétence et de l’irresponsabilité de ceux qui nous ont gouvernés
depuis plus de dix ans, à commencer par Nicolas Sarkozy, que ce soit à son
poste de ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et de
l’Industrie du gouvernement Raffarin III de 2004 à 2005, ou à celui de
président de notre pauvre République. Jugez plutôt !
Ce fut alors l’occasion, pour les actionnaires de
cette nouvelle structure, au travers du fonds d’investissements Butler Capital
Partners qui détient plus de 80% des actions, de réaliser de juteux profits par
la vente des terrains appartenant au SERNAM, occupés par les anciennes
plateformes logistiques, situées en zones urbaines à proximité des gares ;
toutes opérations hautement spéculatives. Le SERNAM a été victime de ce qu’on
appelle dans l’immobilier le système de la « vente à la découpe ».
Autrement dit, dès sa privatisation, l’entreprise a été dépecée, morceau après
morceau.
Et pendant que se gavaient ainsi les actionnaires,
la situation de l’entreprise ainsi vidée d’une part importante de son capital, n’a
cessé de se dégrader. Qu’importe ! Comme à chaque fois en pareil cas, on
fait appel à l’État, donc au contribuable, qui sous forme d’aides, à la
privatisation d’abord – on croit rêver ! – (100 millions d’euros), puis
ensuite à la restructuration (503 millions d’euros), siphonnent les crédits
publics.
Rien n’y
fait. Le SERNAM se retrouve aujourd’hui en redressement judiciaire, menaçant de
laisser sur le carreau 1.600 salariés. Il faut par conséquent trouver d’urgence
un repreneur. Intervient alors Bruxelles qui charge la barque en exigeant le
remboursement des aides indûment perçues, contraires à cette fameuse
concurrence libre et non faussée.
Et c’est
là qu’on voit réapparaître un certain Pierre Blayau (1). Pierre Blayau, vous ne
connaissez pas ? Demandez aux anciens salariés de Moulinex. Ils sauront
vous dire dans le détail qui est Pierre Blayau. Mais pour aller vite, c’est le
dépeceur et le fossoyeur du groupe MOULINEX (5.200 salariés y ont perdu leur
emploi), tâche pour laquelle il n’oubliera pas d’empocher à son départ une
prime de 2 millions d’euros. Ce brillant exploit lui vaudra, en 2004 d’être mis
en examen pour « banqueroute par emploi de moyens ruineux et banqueroute
par détournement d’actifs ». Mais cette action en justice vient de s’éteindre
à la surprise générale il y a quelques jours par un non lieu arrivant à point
nommé, achevant ainsi d’écœurer les anciens de chez Moulinex.
Car le
brave homme, lui, ne s’est pas retrouvé au chômage. À peine sorti de Moulinex,
il a été recasé à la tête de Géodis, filiale logistique de la SNCF. C’est le
retour dans le giron public. Gagnant à tous coups !
Pardonnez-nous
cette digression, mais elle nous a paru nécessaire pour bien saisir l’ensemble
des ressorts de cette affaire. Et revenons au SERNAM, sur lequel Géodis vient
de faire une offre de reprise. Oui, mais attention : pas à n’importe
quelles conditions. À condition que soit effacées du passif de l’entreprise les
aides d’État dont Bruxelles demande le remboursement. Le piège s’est refermé.
C’est
dans ce contexte à dormir debout où la cupidité des uns le dispute au
dogmatisme des autres que survient la pieuse indignation de Thierry Mariani,
ministre des Transports d’une majorité qui a été, pendant toutes ces années,
complice de tous ces arrangements entre copains et coquins. Un ministre envoyé
d’urgence par l’Élysée pour éteindre le feu à moins de deux mois du premier
tour de la présidentielle. Thierry Mariani qui de surcroît se défausse des
responsabilités de la majorité en accusant Bruxelles de tous les maux lorsqu’il
est à Paris, mais dont les amis députés européens du Parti populaire européen
(PPE) ont voté des deux mains à Strasbourg, les unes après les autres, les
directives dont nous enregistrons aujourd’hui les conséquences désastreuses.
Vous n’avez
pas tout compris de la logique qui voit une ancienne société publique,
privatisée, en passe de revenir dans le giron de l’établissement public qu’est
encore la SNCF par le biais d’une de ses filiales. Nous non plus ! Sauf à
considérer que la logique n’est pas industrielle, mais est avant tout financière
et en fin de parcours, électorale. C’est qu’entre temps, le SERNAM, privatisé,
a été comme nous l’avons vu, nettoyé jusqu’à l’os. Ces manœuvres n’ont servi
que la cupidité et la volonté de réaliser le maximum de profit à court terme
par tous les moyens. Sans se soucier aucunement du devenir de l’entreprise
comme de celui de ses salariés. Qui sont-ils, les cerveaux de ces
machiavéliques besognes ? Une poignée d’affairistes sans scrupules à la
tête desquels on retrouve toujours les mêmes. Ils sont ce qu’au Front de Gauche
nous appelons l’oligarchie. Et parmi eux bon nombre d’anciens inspecteurs des
Finances, lesquels après avoir conseillé dans le sens qui leur était favorable,
les gouvernements de gauche comme de droite, sont passés au privé pour tirer
les marrons du feu qu’ils y avaient eux-mêmes placés. M. Pierre Blayau, tout
comme son excellent ami M. Jean-Charles Naouri (2) est un de ceux-là. Quant-au
préjudice environnemental qu’a occasionné la suppression du trafic ferroviaire
des colis au profit du trafic routier, et à l’irréversibilité du phénomène,
puisque les terrains jouxtant les gares ont été vendus, soyons sûrs que c’est
le cadet de leurs soucis. De cela nous n’en dirons qu’une chose : « l’environnement, ça commence à bien
faire ! » (3)
Reynald
Harlaut
(1)
Pierre Blayau, ancien inspecteur des Finances, aujourd’hui président de Géodis,
est un parfait exemple de ce que produit le système en place en terme de
mélange des genres : public, privé, médias et sport. Se retrouvant, à la
suite des nationalisations, à la tête de Saint-Gobain, il va poursuivre sa
carrière dans le privé en passant par Pont-à-Mousson puis
Pinault-Printemps-Redoute. C’est J.-Ch. Naouri qui le nomme à la tête de
Moulinex. Nommé en 2005 par Canal+ à la présidence du Paris-Saint-Germain, il
n’y fera qu’un court séjour bénévole, conservant dans le même temps son poste à
la tête de Géodis.
(2)
Jean-Charles Naouri, ancien inspecteur des Finances, aujourd’hui président du
Groupe Casino, fut entre 1984 et 1986 le conseiller de Pierre Bérégovoy au
ministère de l’Économie et des Finances. C’est lui qui lui fit prendre la
décision ultralibérale de déréglementer les marchés financiers. Cette décision
que beaucoup aujourd’hui qualifient du terme de « big-bang » est à
l’origine de la financiarisation de l’économie et permettra ensuite d’opérer sans
contraintes les délocalisations.
(3)
Nicolas Sarkozy aux agriculteurs en 2011.
Sources :
Articles
de presse :
Libération,
du 09/03/2012 – Sernam : Bruxelles
impose le remboursement de 642 millions d’euros.
La Croix,
du 10/03/2012 – Géodis, filiale de la
SNCF, dernier espoir pour la Sernam.
Wikipedia
pour l’historique du SERNAM et pour les biographies de MM. Pierre Blayau et
J.-Ch. Naouri.
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