Un moment de vraie vie qui donne à réfléchir sur ce qu'est devenu notre pays.
C’est un reportage dans l’émission de Kathleen Évin l’Humeur vagabonde sur France Inter, le jeudi 6 mai 2010. Martine Abat, journaliste, a rencontré Hélène, militante RESF (Réseau Éducation Sans Frontières), abusivement retenue en garde à vue le 15 février dernier pendant plus de treize heures, par la section anti-terroriste de la brigade criminelle de Paris. En 2009, on a compté jusqu’à 800.000 gardes à vue, mais cela continue en 2010…
Hélène – « Je continue à croire quand même que c’est une erreur, que ce qui est en train de m’arriver, c’était pas possible, c’était quelque chose qui paraissait énorme, à 6h15 du matin, avoir cinq policiers avec des gilets pare-balles, un qui est armé, qui fouille partout. On a l’impression d’être dans les films. Enfin, je suis ressortie de là dedans 13 heures après. Ça a duré 13H25 tout ça. »
Kathleen Évin – « En France, ces derniers mois, il y a eu pas mal de réactions, d’enquêtes et d’articles sur les gardes à vue et sur ce qui maintenant s’appelle le délit de solidarité. Tous les journaux en ont parlé. Il y a eu des exemples partout, et vous Martine Abat, vous êtes allée interroger une petite dame un peu fragile à qui cette chose extravagante est arrivée un matin à 6 heures. »
Martine Abat – « Hélène est assistante sociale et militante depuis cinq ans à RESF, le réseau qui vient en aide aux sans papiers. Depuis deux ans, elle gère une liste anti-rafle, c’est-à-dire qu’elle dispose d’un téléphone portable avec une centaine de contacts de membres RESF et, dès qu’elle est informée qu’une rafle a lieu dans le métro – ce sont des contrôles au faciès assez massifs –, elle envoie un texto à tous ses contacts sur son portable.
Et puis, sale temps pour les militants puisque le 15 février dernier voici : »
H – « Le 15 février à 6h10 du matin, j’ai entendu frapper à ma porte. Donc, je me suis demandée si c’était pas une erreur, si c’était pas des voisins et j’ai attendu un petit peu, et au bout d’un moment j’ai entendu derrière la porte : « police ». Et quand j’ai ouvert la porte, j’ai vu cinq policiers, quatre hommes et une femme avec des gilets pare-balles, qui m’ont demandé si j’étais toute seule. Et quand j’ai répondu oui que j’étais toute seule, ils se sont engouffrés dans l’appartement et ils ont vérifié que j’étais bien seule. Et puis après, ils ont regardé mon chat et ils m’ont dit qu’ils le trouvaient beau et ils m’ont demandé comment il s’appelait. Je leur ai dit Rosa Parks et ils m’ont dit que c’était pas étonnant.
MA – « Rosa Parks, c’est une militante des droits des noirs aux États-Unis. »
H – « Rosa Parks, c’est la première femme noire qui a refusé de se lever pour laisser la place à un blanc. Quand ils m’ont répondu que c’était pas étonnant, là, j’ai compris qu’il y avait quelque chose à voir avec les sans papiers. Je leur ai demandé pourquoi ils étaient là. Ils m’ont dit « Madame, on est là pour vos idées gaucho et vos actes militants ». Quand ils m’ont dit cela, j’ai rien compris. Et au bout d’un moment ils m’ont expliqué qu’ils étaient là pour destruction de DAB (distributeurs automatiques de billets). Parce qu’apparemment, les distributeurs automatiques de billets appartenaient à des banques qui ont dénoncé les sans papiers ».
MA – « Et on en est arrivé à vous ? »
H – « Oui, on en est arrivé à moi, en m’expliquant qu’on était sur mon dos depuis plusieurs mois ».
MA – « Qu’on vous surveillait ? »
H – « C’est ce qu’ils m’ont dit. Au bout d’un moment, ils m’ont expliqué que j’allais signer le papier comme quoi j’allais être mise en garde à vue, et si je voulais un avocat, un médecin, et si je voulais prévenir mon employeur ou quelqu’un de ma famille. J’ai pas compris. Au début j’ai dit que je ne voulais pas d’avocat, et, une fois que j’ai signé, je suis revenue sur ma décision et j’ai dit que oui, je voulais un avocat. Et ils m’ont regardée et ils m’ont dit : « C’est trop tard, vous avez signé, donc, vous n’y avez pas le droit ». Ils ne m’ont pas expliqué que j’allais avoir le droit d’être une demi-heure avec lui. Rien ne m’a été expliqué ».
MA – « Alors là, vous étiez encore en chemise de nuit chez vous, à 6h30 du matin ? »
H – « Et ils regardaient partout. Ils ont fouillé ; ils ont pris des photos, des magazines, et ils cherchaient des lectures subversives. Et ils ont fouillé mon ordinateur. Et ils m’ont aussi demandé si j’avais des photos de manifs. Ils ont regardé les photos qu’il y avait dans mon appareil photo. J’ai appris dans l’appartement que je partais au 36, quai des Orfèvres et au fur et à mesure, les choses, elles s’écroulent, parce que ça devient quelque chose d’énorme. Je leur ai demandé si j’allais sortir le soir. Avant de partir de chez moi, ils m’ont autorisé à prendre mon petit-déjeuner. Ils m’ont demandé si je voulais leur faire un café. Et là j’ai dit qu’il ne fallait pas quand même exagérer.
Ensuite, on est partis au 36, quai des Orfèvres. Ils m’ont pris mes empruntes digitales, les doigts, puis les mains. Ils ont fait des photos anthropométriques. J’avais une ardoise sous la tête avec mon nom et mon prénom. Et après, alors qu’ils m’avaient sortie de mon lit, ils m’ont fait la fouille à nu. Et comme j’ai une maladie génétique – c’est la maladie de Reglinhausen – j’ai des traces dans le dos, sur la peau, ils les ont pris en photos. Ils m’ont expliqué que c’était pour que je sois reconnaissable »
MA – « Et c’étaient des femmes qui faisaient cela ? »
H – « Oui, c’étaient des femmes. Et quand ils m’ont mise en cellule, la femme policier disait à ses collègues : « Elle a plein de choses partout, sur le corps. Elle dit que c’est pas contagieux, mais on sait jamais ». Et ça je crois, des choses comme ça, c’est humiliant. Pour moi ça a été l’humiliation : la fouille à nu, les photos de mon corps et les réflexions.
Et j’ai été descendue pour ce qu’ils appellent je crois l’interrogatoire de personnalité. Ce que faisaient mes parents, ce que faisaient mes sœurs, toute ma scolarité depuis le primaire, quels avaient été mes voyages, enfin tout. Et après, quelles étaient mes opinions politiques. Quand je leur ai demandé pourquoi cette question, ils m’ont dit : « Mais Madame, vous êtes là pour ça, vous êtes là pour vos opinions politiques ».
KE – « Délit d’opinion. »
H – « Ah oui ! Et ils m’ont dit : « vous seriez pas un peu anar ou copine du p’tit facteur Madame ? » Et plusieurs fois, ils m’ont dit : « Madame, on pense que vous êtes innocente, mais on sait jamais, lors du deuxième interrogatoire, vous allez peut être craquer et tout nous raconter ».
MA – « Qui avait détruit ces distributeurs automatiques de billets ? »
H – « Eh bien, en fait, on n’en a jamais vraiment parlé de ces distributeurs automatiques de billets, parce que dans le premier interrogatoire, apparemment, c’était pour savoir qui j’étais, et ensuite je suis retournée en cellule pendant trois ou quatre heures. Quand ils m’ont réinterrogée, lors du deuxième interrogatoire, on n’en a pas reparlé de l’affaire. On m’a redemandé que mes opinions. Sur ce que je pensais des banques qui dénonçaient les sans papiers ; sur ce que je pensais des actes de violence. Et les faits en eux-mêmes, non. C’est moi qui leur ai demandé à quelle date avaient eu lieu les faits parce qu’ils ne m’en parlaient pas. Et les dernières questions, ils les ont modifiées, en fait.
MA – « Qu’est-ce que vous voulez dire ? »
H – Ils ont posé des questions. J’ai répondu et ils m’ont dit : « Madame, faut pas les tourner comme ça ; faut modifier vos réponses sinon ça va vous enfoncer auprès du juge. Ce soir, il vaut mieux tourner les choses de cette manière là ». Moi, je leur ai dit que ce qu’ils étaient en train d’écrire, j’avais l’impression que ça m’enfonçait plutôt auprès du juge que ça m’aidait. Ils m’ont dit : « Mais Madame, faites-nous confiance ». Et il était 17h30. Ça faisait depuis 6 heures du matin que j’étais dans toute cette histoire. Bah j’ai signé ! Parce que je ne savais pas que j’avais le droit de ne pas signer. Je ne savais pas que j’avais le droit de ne pas répondre aux questions et de ne pas signer. Et que si je faisais cela, le risque que j’encourais était qu’on prolonge ma garde à vue, mais c’était tout ».
KE – « Et ce qu’ils ont modifié concernait quoi par exemple ? »
H – « Sur mes opinions toujours. Jamais sur des faits concrets. On était toujours sur mes opinions. Et sur la Colombie, j’avais expliqué que j’étais allée travailler dans une ONG qui faisait de la prévention aux enfants des rues de Bogota. Sur le cahier d’audition, ils avaient marqué que « Je suis allée traîner avec les enfants des rues de Bogota ». Donc quand j’ai relu, j’ai dit que j’avais pas dit ça. J’ai dit que j’avais travaillé. Et ils m’ont dit : « Mais vraiment Madame, vous chipotez sur les mots ! » Et ensuite, il faisait nuit, il était 19h35, ils m’ont refait signer un papier, et là, ils m’ont dit : « Rentrez chez vous ! Allez prendre un bain et remettez-vous de vos émotions ».
« Quand ça m’est arrivé, là, la terre elle s’écroule en fait. C’était tellement énorme ce qui est en train de se passer que je me suis dit : ce soir, je suis à Fleury ».
KE – Vous vous êtes dit cela ? Que vous alliez aller en prison ? »
H – « Oui ! »
MA – « Mais vous n’aviez rien à vous reprocher ? »
H – « Oui, mais ils étaient arrivés chez moi à 6 heures du matin, donc… »
MA – « Vous avez peur de la police ? »
H – « Peur ? Je ne sais pas. Ce qui est certain c’est que s’ils m’ont blessée, s’ils m’ont meurtrie, la seule chose qu’ils ne sont réussi à toucher, c’est à mes idées. Avant le 15 février, j’étais militante, et j’y suis encore. Ça c’est sûr ».
KE – « Voilà : délit d’opinion gaucho et pour avoir appelé son chat Rosa Parks, c’est une dangereuse celle-là ! »
MA – « Hélène a été libérée à l’issue de 13 heures de garde à vue et sans qu’aucune poursuite ne soit engagée contre elle. On lui a quand même confisqué son portable avec tous ses contacts, les autres militants RESF ».
KE – « Cela fait donc plein de personnes qui vont recevoir la visite de la brigade anti-terroriste à 6 heures du matin ! »
MA « Hélène a décidé de porter plainte pour atteinte illégitime à sa vie privée et à son intégrité physique, à sa liberté d’aller et venir ».
Demain soir 7 mai est organisé par RESF par solidarité avec Hélène, un bal de 18H00 à minuit à l’Espace Macaque, à Paris dans le XVIIe.
Transcription
Reynald Harlaut
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