Toute période électorale
suscite son lot de bilans, de promesses, de projets. Comme Louviers est la
ville que je préfère (non par chauvinisme mais par la qualité de vie que j’y ai
construite) je m’attacherai, dans les semaines et les mois qui viennent à
commenter — c’est le privilège des retraités du militantisme actif — la vie
politique locale.
Louviers, ne l’oublions pas,
a été la ville de Pierre Mendès France, d’une part, et d’Ernest Martin et Henri
Fromentin, d’autre part. Chacun, à sa manière, a marqué notre ville d’une
empreinte indélébile l’un en faisant du jardin de la maison des Monts la
dernière pièce du puzzle de sa vie (1) et les deux autres en mettant en place
des services publics fondés sur les besoins des classes populaires bien avant
que les gilets jaunes ne réclament dignité et reconnaissance. Chacun se
souvient des ateliers d’expression libre, de la culture pour tous et des
transports accessibles par tous sans oublier les services de la famille avec
ses modes de garde d’enfants révolutionnaires pour l’époque. Ces exemples n’ont
évidemment rien d’exhaustif.
En 2014, Franck Martin,
maire sortant, après s’être inspiré de l’action de son père lors de son premier
mandat, a été battu à la fois pour des raisons de politique nationale (une
vague anti gauche et anti socialiste) et de stratégie locale, Anne Terlez et
Jacky Bidault apportant à François-Xavier Priollaud, leur position centrale sur
l’échiquier politique local. Je passe sur certaines erreurs mais qui n’en fait
pas ? Louviers, malgré son passé ouvrier, n’est pas (plus ?) une
ville de gauche à l’image de la France d’ailleurs. Pour que la gauche y
triomphe ou marque des points, il a fallu des personnalités exceptionnelles
(PMF, Ernest Martin…) ou de graves erreurs des gestionnaires de droite (les
impôts augmentés sensiblement pour Rémy Montagne en 1971 ou les Témoins de
Jéhovah pour Odile Proust en 1995). Les municipales de 2020 se présentent plus
ouvertes. C’est si vrai qu’on devrait compter cinq, voire six, listes en lice
le 15 mars : la liste du maire sortant, une liste RN, trois listes de
gauche et, peut-être une liste LREM…
Le paysage local
Quel est donc le paysage
local à plus de trois mois du premier tour des élections municipales ? FX
Priollaud se représente à la tête d’une liste bigarrée de continuité composée
de centristes, de militants de droite (LR), et d’électrons libres sensibles « aux
gestes » de la municipalité sortante. Dans un quatre pages de démarrage de
campagne, habillé de vert (la couleur des écolos) le maire mêle habilement les
réalisations municipales et celles de la communauté d’agglomération, les
Lovériens n’étant pas forcément informés des nuances de compétences et de
résultats. La patinoire, c’est l’agglo ! La halle c’est la ville ! La
place Thorel et le Parvis de l’église, c’est l’agglo ! La salle des
associations et la piste Carrington c’est la ville ! Même si des
subventions croisées permettent de jouer sur les mots. Franck Martin avait lui
aussi essayé de vendre le centre sportif CASEO comme essentiellement lovérien.
Les écharpes jaunes n’avaient rien changé à l’humeur maussade des habitants.
Anne Terlez et F.X. Priollaud. |
En lisant ce quatre pages avec attention, j’ai noté que le « cœur de Louviers s’était enfin remis à battre. » Il a donc fallu que ce cœur se fût arrêté et que la ville ait connu un collapsus inquiétant ! L’image est, certes, belle puisque les amis de FXP ont Louviers « au cœur ». Fort heureusement, ils ne sont pas les seuls et j’en connais (j’en suis) qui aiment Louviers depuis plus longtemps qu’eux et au moins aussi sincèrement. Je reconnais que les campagnes électorales impliquent de faire simple (pas simpliste) et direct. FXP aurait ainsi pu se dispenser de traiter ses adversaires de « candidats du déni et du mépris. » Etre candidat n’implique pas non plus qu’on soit forcément démagogue…ou qu’on fasse des promesses faciles. Le sérieux est plus répandu qu’on le croit.
En tant que maire sortant,
FX Priollaud ne devrait pas ouvrir les hostilités. Personne, à ma connaissance,
ne remet en cause sa légitimité ou sa tentative d’être réélu. Les oppositions
ont quand même bien le droit de se présenter et de vanter leurs différences
avec la liste de la majorité sortante, non ? Il reste que, sur le papier,
et après un premier mandat sans erreurs grossières, M. Priollaud a aujourd’hui
un certain avantage. Qu’en sera-t-il après trois mois de campagne ?
En face les troupes s’organisent.
Bruno Questel, député En
Marche, a déclaré ne pas soutenir la liste Priollaud qui compte, pourtant, dans
ses rangs des adjoints adhérents récents de LREM. La raison ? Je le
répète : la présence auprès du maire sortant d’élus républicains hostiles
au gouvernement tels que M. Jubert ou Mme Perchet alors que le MODEM de Mme Terlez soutient Emmanuel Macron. Pour
autant y aura-t-il une liste LREM présente le 15 mars ? Des bruits
circulent sur cette tentative. Trouver 33 noms (avec la parité) est un exercice
difficile surtout quand le gouvernement doit faire face au mouvement social que
l’on connaît et qui rassemble deux tiers des Français.
Diego Ortega sans s’inscrire
publiquement dans les pas de Franck Martin ne peut pas renier son passé de
fonctionnaire territorial proche de l’ancien maire. Il a autour de lui
d’anciens adjoints ou élus aux côtés de Martin 2. Mais il a su élargir son
équipe et gommer les défauts de l’ancienne trop marquée par la personnalité du
leader déchu. Diego Ortega est un homme de dialogue. Il a tenté de réunir dès
le premier tour les opposants de gauche sur une liste d’union. Mission
impossible eu égard à l’ostracisme des uns (M. Hacen Mohamedi) l’affirmation
d’une identité nécessaire (Philippe Brun) sans omettre le rôle du NPA qui se
pose en vigie attentive et donneuse de leçons sans intention de concourir faute
de combattants et aussi d’influence. Affirmer cela n’est pas insultant pour une
gauche extrême bien implantée à Louviers. Cette dernière doit faire face au vieillissement
des troupes et à l’usure du message porté. En cas de second tour serré, les
voix des sympathisants du NPA pourraient peser lourd. Quant à Diego Ortéga il a
réussi à convaincre Fabrice Le Moal, docteur en médecine, de le rejoindre.
Fabrice, médecin humanitaire et humaniste, sera un soutien de poids compte tenu
de sa notoriété et de la défense des valeurs qui animaient Ernest Martin, lui
aussi médecin des pauvres et des laissés pour compte.
Reste la liste sans doute la
plus inattendue et la plus originale. Celle que conduisent Philippe Brun et
Ingrid Levavasseur. Tous deux sont aussi différents qu’ils sont
complémentaires. Philippe Brun (Sciences Po, ENA) est magistrat. Il est encore
jeune mais fait preuve d’une culture locale étonnante eu égard à sa date
d’entrée sur la scène municipale. Il semble avoir la tête bien faite et possède
des qualités indispensables pour réussir dans la voie qu’il a choisie : la
volonté, le courage, et aussi des convictions assises sur une histoire
lovérienne peu avare en matière de démocratie participative et de défense des
services publics. Ingrid Levavasseur est la personnalité charismatique de cette
liste « Changer Louviers ». Elle a connu l’aventure des gilets jaunes, animée
qu’elle était par des objectifs apparemment naïfs mais devenus des mots
d’ordres courants dans les manifestations qui jalonnent les fins de semaine
depuis un an. En s’éloignant des violents et des extrémistes, en publiant un
livre de témoignage émouvant, elle a gagné en crédit et pourrait toucher les indécis ou les
abstentionnistes…
En rejoignant Philippe Brun,
Ingrid Levavasseur fait preuve d’une lucidité intelligente et a appris sur les
ronds-points et les péages qu’il faut fonctionner en équipe (avec les écolos de
M. Fraisse, les insoumis…) collectivement, plutôt que de s’en remettre à un
chef fût-il génial. Elle propose par ailleurs une action sans agressivité à
l’égard de ceux et celles qui pensent différemment.
Je n’ai pas évoqué la liste
de M. Hacen Mohamedi. Ses membres se font discrets. S’agit-il d’une
stratégie ? Quoiqu’il en soit, pour gagner, une liste d’union à gauche
devra se constituer avant ou après le 15 mars 2020. Le feuilleton ne fait que
commencer. Nous aurons le temps d’en étudier les différents chapitres.
(1) Pierre Mendès France a
souhaité que ses cendres soient répandues dans le jardin de sa propriété des
Monts à Louviers. C’est dire l’attachement affectif qu’il éprouvait pour cette
ville.
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