18 juin 2019

Le mendésisme n'a pas livré tous ses secrets. La page internationale de son histoire reste à écrire

André Azoulay.©JCH
André Azoulay, président de l’Institut Pierre Mendès France et Jean-Pierre Rioux, Inspecteur général de l’Education nationale (et historien) sont d’accord sur un point : il faudra bien un jour, organiser un colloque sur Pierre Mendès France et son ouverture au monde. En introduction et conclusion du colloque organisé, lundi, à l’Assemblée nationale à l’occasion du 65e anniversaire de la constitution du gouvernement Mendès France en 1954, les deux orateurs ont constaté que l’aura de PMF dépassait largement le cadre hexagonal. Non pas seulement celle de sa personne (rayonnante comme on sait) mais celles de ses leçons politiques et de sa pratique du pouvoir érigées en modernité. Pierre Mendès France, au FMI, à la Banque mondiale, au gouvernement, a toujours considéré que la France, l’Europe, l’Asie, le Moyen Orient, les Amériques, ne faisaient qu’un et qu’un dirigeant responsable ne pouvait se recroqueviller sur son pré carré…fût-il hexagonal ! En homme des Lumières, PMF imaginait un monde de paix, d’échanges et de droits de l’homme universellement respectés.

La parole mendésiste
Le colloque d’hier était consacré à « la parole mendésiste » tout au long de sa vie jusqu’en 1982. Pierre Mendès France a parlé aux Français en utilisant toute la palette des moyens de diffusion de son époque. Ses interventions radiodiffusées (ex : les radioscopies de Jacques Chancel), ses émissions de télévision (exemples : face à face, A armes égales…) ses débats mémorables (avec Michel Debré, Georges Pompidou et Alexandre Sanguinetti notamment) ses livres, ses lettres, ses discours, autant de médias que Pierre Mendès France utilisa avec compétence et succès pour n’atteindre qu’un objectif : bien informer les Français pour qu’ils comprennent les politiques conduites ou souhaitées et, qui sait, les convaincre de le suivre sur le chemin qu’il proposait.

PMF était un débatteur redoutable.©JCH
Ses causeries du samedi soir (débutées en 1944) nous avons été des centaines de milliers (de 1954 à 1955) à les écouter même quand il parlait de Genève au cours de la grande négociation qui allait aboutir à la fin de la guerre d’Indochine. Que nous disait-il ? Avec simplicité, pédagogie, conviction, PMF expliquait ses choix, ses projets pour que les citoyens acceptent, sinon des sacrifices, du moins certains efforts pour que l’intérêt général (l’investissement, une faible inflation, la recherche, l’éducation, le social, etc.) soit toujours supérieur aux intérêts particuliers. Il croyait au plan, non par idéologie mais par efficacité. Pour lui le mot Etat n’était pas un gros mot. PMF était donc très éloigné d’un système marxiste, pur et dur, il privilégiait le Keynésianisme si cher à Georges Boris, son ami de toujours et conseiller le plus proche.

Une intelligence supérieure
Des différentes lectures et extraits d’émissions télévisées choisies par les conférencier(e)s hier, les images sélectionnées par Manuela Dubessy, documentaliste à l’INA, nous montrent un PMF d’une intelligence supérieure, d’une vivacité d’esprit redoutable pour ses adversaires d’un soir ou ses intervieweurs amicaux. Pierre Mendès France était la séduction même induite par ses compétences, ses capacités et aussi, reconnaissons le, son intransigeance qui en faisait un personnage unique parmi tant d’autres. Si lui avait raison, économiquement parlant, certains autres, même à gauche par facilité et une certaine lâcheté aussi, se glorifiaient politiquement.

Françoise Chapron.©JCH
Françoise Chapron, attachée scientifique de l’Institut PMF et Vivien Richard, conservateur du patrimoine aux Archives nationales ont frappé l’auditoire tant les archives privées et publiques (lettres, notes, épreuves…) sont importantes en volume et sans doute en contenu pour les milliers de pages non encore étudiées ou inventoriées. Le Lovérien Christophe Lombard a ainsi recensé la majorité des archives conservées dans la ville dont PMF fut maire. Elles nécessiteraient qu’un étudiant de master (ou plusieurs) accepte d’éplucher les documents encore inconnus mais porteurs, sans doute, de belles surprises. PMF, généalogiste, très attaché à ses racines portugaises et fidèle à un judaïsme laïc, a lui-même classé avec méthode ses archives privées. Pour le reste, la famille Mendés France dont Joan, épouse de Michel, Tristan et Margot, leurs enfants, veille avec rigueur sur des documents dont ils possèdent le droit moral et donc l’octroi du droit de consultation.

 L'Express au service de PMF
On ne le sait sans doute pas suffisamment mais Pierre Mendès France fut un « grand » homme de presse. Françoise Giroud et Jean-Jacques Servan-Schreiber ont lancé avec ses conseils « l’Express » (1) magazine qui, s’il existe toujours, a considérablement modifié son orientation. Le magazine devait servir de tremplin vers le pouvoir, ce que les circonstances (la guerre d’Algérie) et le choix de Guy Mollet (par René Coty) pour la présidence du Conseil en 1956 empêchèrent. Présent au premier rang des invités, Lakhdar Brahimi, ne comprend toujours pas pourquoi la victoire des mendésistes aux élections de 1956 n’a pas permis à PMF de retrouver la présidence du Conseil : « peut-être, constate-t-il avec regret, le sort de l’Algérie et les relations entre la France et ce pays auraient-ils été très différents. » PMF n’était-il pas l’un des premiers décolonisateurs ? Non seulement il avait ramené la paix en Indochine (et les hommes en France qui mouraient là-bas) mais il avait conduit la Tunisie vers l’indépendance et aidé à mettre fin au protectorat au Maroc. A l’évidence, Pierre Mendès France n’aurait pas laissé au général De Gaulle le soin de prendre le pouvoir le 13 mai 1958 (comme l’on sait) mais il aurait, lui le partisan du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, rapidement compris que seule l’indépendance de l’Algérie devenait possible. Ajoutons l’édition des « Cahiers de la République » dont Emeric Bréhier, ancien député, connaît l’histoire sur le bout des ongles. De la splendeur des années soixante aux contradictions des années soixante-trois au moment choisi par Laurence Soudet (présente hier) et PMF pour relancer les Cahiers…quelle histoire !

Robert Frank (à gauche) et Jean-Pierre Rioux.
PMF ne fut jamais vraiment un homme de parti. S’il admettait sa nécessité, il considérait qu’adhérer à un parti n’était pas suffisant. D’où sa méfiance à l’égard de la proportionnelle et sa préférence pour le scrutin d’arrondissement. Comment imaginer autrement, en effet, le lien entre l’élu et l’électeur(trice) si le territoire, l’espace de vie et de communication, est supprimé entre le mandant et le mandataire. Ce qu’affirmait PMF : « Le premier devoir du porte-parole du peuple, à quelque degré de la hiérarchie qu’il se situe, consiste à maintenir le dialogue avec ses mandants aussi franc, aussi constant que possible. »Il ajoutait : « un démocrate est d’abord un homme qui ne cesse de soumettre à l’opinion publique, de la manière la plus claire, la plus complète, la moins démagogique, les problèmes qui se posent et les solutions qu’il croit devoir défendre. »A l’heure des fake-news, des mensonges, de la démagogie triomphante, « il est juste et sain » comme dirait Mélenchon, d’entendre la parole d’un démocrate authentique dont personne ne peut nier ni la sincérité ni la recherche constante de la vérité.

Christian Delporte, professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin, avait la charge de clore les interventions savantes. Il l’a fait avec brio, détaillant par le menu ces fameuses causeries du samedi soir, calquées sur Roosevelt, le vrai inventeur de la formule. PMF restera, quoiqu’il en soit, le promoteur français de cette démocratie participative (on l’appellerait ainsi aujourd’hui) qu’il inspira à Louviers où le Comité d’Action de Gauche du docteur Martin (2) prit le pouvoir en 1965 sur des bases programmatiques assurément (pas totalement) mendésistes.
Après l’important succès de ce colloque, le conseil d’administration de l’Institut Pierre Mendès France doit se pencher sur de nouveaux projets toujours fondés sur l’action et la pensée mendésistes. L’ouverture au monde — introduction de ce billet — de l’ancien président du Conseil de la République serait un thème excellent : national autant qu’international. L’histoire du Mendésisme est loin d’être terminée.

(1) Et ce n’est pas Jean Daniel et le Nouvel observateur qui y trouveront malice. Ce journal fut toujours très favorable à Pierre Mendès France et à la gauche réformiste.
(2) Lire « La politique à la ville » d’Hélène Hatzfeld. Edité aux PUR.



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