22 mars 2019

Les journalistes professionnel(le)s ne travaillent pas tous pour des canards boiteux !


Ariane Chemin et Elise Karlin.©JCH
« Gonflé ». Il faut être gonflé pour organiser « un forum d’éducation aux médias et à l’information » alors qu’un grand chamboulement dans le paysage de l’information s’opère avec les fausses nouvelles, les théories complotistes, les gilets jaunes négationnistes, sans oublier la folie des réseaux sociaux tous plus anonymes les uns que les autres. Heureusement, il existe des journalistes, hommes et femmes, capables de défendre une profession qui ne mérite ni opprobre ni pléthore de compliments, des hommes et des femmes passionnés, curieux, heureux d’écrire l’histoire au jour le jour. Nous les avons rencontrés.

Hier soir, à Val-de-Reuil, l’âme de Jesse Owens planait au-dessus des têtes. L’homme à qui Hitler refusa de serrer la main lors des JO de 1936, a donné son nom à la salle chargée d’accueillir un public jeune et citoyen venu en nombre pour entendre les explications d’orateurs avertis issus de « la soi-disant mauvaise presse. » Des journalistes (un comble) toujours en action à la radio, à la télé ou dans la presse d’information généraliste. Marc-Antoine Jamet, maire de la jeune cité, et Jean-Marie Le Chanony, IDEN pour la circonscription scolaire Louviers-Val-de-Reuil, sont à l’origine de l’organisation du forum du jour. Il est sain, il est roboratif de constater que des élus et des fonctionnaires de l’éducation nationale s’inquiètent de la manière dont leurs « enfants » lisent les médias (quand ils les lisent) ou s’informent (quand ils s’informent).

Un sondage paru dans « La Croix » démontre le peu de goût des jeunes pour la presse écrite quotidienne ou magazine. Un tweet, un profil facebook, un SMS, ici et là, vaudraient tout l’or du monde. Bien pratiques tous ces outils mais pour savoir quoi,  pour apprendre quoi ? Un gloubi boulga informe et sans saveur, voilà ce que nous réservent (le plus souvent) les réseaux sociaux.

Ivan Levaï aime Mme de Sévigné et Françoise Giroud.
Une information, comme dirait Ivan Levaï, ce n’est pas de la communication. Elle doit être la relation d’un fait (réel) narré, commenté, hiérarchisé dans la masse globale des événements locaux, nationaux ou mondiaux. C’est cela le travail d’un journaliste. Un homme ou femme qui signe ses articles, les revendique, les justifie selon des critères simples : un regard honnête et subjectif sur le monde qui nous entoure. Ariane Chemin, grand reporter au Monde, Elise Karlin, grand reporter à l’Express, sont de ce monde-là. Comme Stéphane Albouy, directeur de la rédaction du Parisien Libéré (un quotidien qui a bien évolué et gagne à être lu) ou Guillaume Lejeune, directeur départemental du quotidien Paris-Normandie.

Les mots de la fin pour MAJ.©JCH
Toutes et tous, à leur façon, selon leur support, mènent une bataille perpétuelle contre le vieillissement — et la raréfaction — du lectorat, l’indifférence au sort d’autrui, pour la vérité des faits, surtout ceux qu’on essaie de taire ou de cacher au public.  Alors, à quoi servent encore les journalistes (1) ? A cette question je réponds : sans Ariane Chemin, pas d’affaire Benalla. Sans le Canard enchaîné, pas d’affaire Fillon. Sans Médiapart, pas d’affaire Cahuzac. Sans une presse libre et indépendante du pouvoir politique (elle l’est !) il n’est pas de journaux crédibles ni d’aide à la compréhension du monde qui nous entoure.

Une femme, porteuse d’un gilet jaune, n’a rien voulu entendre. Venue clamer sa « haine » des journalistes « qui mentent et qui donc nous cachent la vérité », elle est la porte-parole d’un collectif plus large, plus radicalisé, plus violent, semaine après semaine. Étonnez-vous que des journalistes soient frappés, pourchassés, comme de vulgaires sorciers qu’à une autre époque, on brûlait sur le bûcher. Ne sont-ils pas les porteurs de mauvaises nouvelles, les messagers inquiétants, les contre-pouvoirs des institutions, les corps intermédiaires indispensables au bon fonctionnement d’une vraie démocratie ?

Les journalistes sont-ils pour autant, exempts de tout reproche, de toute critique. Bien sûr que non. D’ailleurs, ils balaient devant leur porte. Nombreux sont les sites de décodeurs, de fact Checking (vérification des faits) bien utiles pour mesurer la crédibilité d’une Le Pen ou d’un Dupont-Aignan, tous deux habitués aux mensonges ou à la dissimulation. Et l’avenir ? Bien sombre pour Elise Karlin. Elle prévoit la disparition de la presse papier magazine, un mouvement déjà enclenché aux États-Unis souvent précurseur en matière d’actualité. D’ailleurs, le site Médiapart fournit une bonne photographie du futur : un site payant, animé par une rédaction talentueuse passionnée par l’investigation, fière de livrer au public des faits d’intérêt général aptes à mieux faire comprendre les contradictions sociétales en France et ailleurs.
Dominique Jamet. ©JCH

En digne père d’un fils brillant, Dominique Jamet avait évidemment son mot à dire. Il aurait été dommage de ne pas entendre l’opinion d’un homme qui ne manque ni de courage moral, ni de talent oratoire. Né en 1936, Dominique Jamet a été de bien des aventures de presse. Son passage auprès de Philippe Tesson, au sein du Quotidien de Paris, a sans aucun doute contribué à faire de lui un débatteur redoutable, un « causeur » craint et respecté. Lui aussi a des craintes pour l’existence des journaux généralistes. Depuis cinquante ans, tant de titres ont disparu ! Marc-Antoine eut le mot de la fin. Ou plutôt les mots tant il aime la musicalité des adjectifs et sait décrire la qualité des relations singulières qu’il entretient, tantôt pour la société qui l’emploie, tantôt pour les idées qu’il défend.

(1) C'était le thème de la conférence-débat. Un titre provocateur, certes. Il porte en lui les dangers qui menacent une presse libre de tous les pouvoirs.


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