La Droite
avec Nicolas Sarkozy et le MEDEF s’est fixé un objectif dès son arrivée au
pouvoir en 2007. En finir une fois pour toutes avec le pacte social républicain
issu du Conseil national de la Résistance. Denis Kessler, un ancien dirigeant
du MEDEF, s’en vantait même. Liquider ce qu’ils appellent par un abus de
langage dont ils sont coutumiers « l’État providence », c’est-à-dire
un État dont le rôle est de veiller aux grands équilibres. Un État qui assure
la cohésion et la solidarité nationale en protégeant les plus faibles. Non pas
en sollicitant la bienveillance et la charité des plus riches à l’égard des
plus démunis, mais en organisant la redistribution des richesses produites et
en veillant au bon fonctionnement du système de protection sociale institué au
lendemain de la Deuxième Guerre mondiale : sécurité sociale et système de
retraite par répartition. Un État qui, par le Code du Travail, garantit des
droits aux travailleurs dans l’entreprise.
Tout cela
leur est intolérable pour deux raisons différentes, mais qui ont ceci en
commun : elles constituent un frein à l’hégémonie des puissances d’argent.
La première est idéologique. C’est le principe même de solidarité qu’ils exècrent
parce qu’il renforce la cohésion du peuple dans la société et des travailleurs
dans l’entreprise. La seconde est financière. La protection sociale dans son
ensemble, tout comme l’éducation et la santé, constituent une masse énorme de
capitaux qui leur échappe parce que soustraite au marché et à la spéculation et
sur laquelle ils entendent mettre la main.
-
En
premier, affaiblir l’État par tous les moyens. C’est la fameuse Révision
générale des politiques publiques ou RGPP qui, au motif vertueux de réaliser
des économies, déstructure les services de l’État au point de les rendre
inopérants. On en tirera ensuite argument pour affirmer que tout ce qui est
dirigé par l’État est inefficace. C’est aussi la diminution des recettes de
l’État par la privatisation de ce qui lui rapportait, par la réduction des
impôts et les cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises ainsi
que par toutes sortes d’exonérations de charges sociales. Toutes ces mesures
ont en commun un point. Elles ont considérablement aggravé la dette et
fournissent aujourd’hui le motif de poursuivre et d’amplifier les politiques
d’austérité qui, comme par hasard, s’attaquent à l’éducation, à la santé et à
la protection sociale.
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En second, pulvériser le code du Travail pour en
finir avec la sécurité qu’apportent aux salariés le contrat de travail, les accords
d’entreprise, les accords de branche, les conventions collectives et enfin la
loi qui, au sommet, a étendu à toutes et tous, chaque fois que le rapport de
force était favorable, le bénéfice des accords patiemment construits après des
années de luttes.
-
En dernier, et cela rejoint le premier point en
fermant la boucle, affaiblir la justice en lui refusant les moyens de
fonctionner correctement. Ainsi, devient-il, notamment pour les salariés, de
plus en plus difficile de faire valoir ses droits et, lorsqu’ils ont été
reconnus, de les faire s’appliquer. On ne compte plus dans ce pays le nombre de
décisions de justice qui ne sont pas suivies d’effet parce que la loi
républicaine, dont l’État est pourtant le garant, n’est plus appliquée.
Qu’on
nous pardonne ce long préambule, mais il nous a paru nécessaire de fixer le
cadre dans lequel se situe ce qui va suivre.
Dans le
contexte actuel, il est tentant pour des entreprises de mettre sur le compte de
la crise des restructurations dont l’objectif réel n’est pas de faire face à
une conjoncture économique difficile, mais beaucoup plus prosaïquement
d’accroître leurs profits pour satisfaire des actionnaires toujours plus
exigeants. De ce point de vue, M-Real constitue un cas d’école. Il n’est hélas
pas le seul et une nouvelle affaire de cet ordre s’invite désormais sur notre
secteur. Celle de l’usine CINRAM de Louviers dont la fermeture semble à présent
inévitable.
Le groupe
CINRAM dont le siège se situe au Canada, à Toronto, dispose en Europe de
plusieurs sites de production. À de nombreuses reprises, au cours des dernières
années, les salariés lovériens ont tiré la sonnette d’alarme, déplorant
l’absence d’investissements alors que dans le même temps se produisait une
évolution significative du marché vers d’autres supports. Qu’on en juge :
CINRAM employait sur son site de Louviers, 388 salariés en 2000, 226 en 2006 et
106 aujourd’hui. La perte de marchés comme celui de Warner en 2010 qui
représentait alors 34% de l’activité du site pour la fabrication des DVD a fait
le reste. De là à penser que nous sommes face à une stratégie délibérée de
fermeture, il n’y a qu’un pas.
Et comme
toujours en pareil cas, avec ces multinationales, on ne s’embarrasse pas de
bonnes manières. La direction en place à Louviers a été débarquée sans ménagement
et remplacée au pied levé par un cabinet de « Cost Killers », sorte
de commando exécuteur des basses œuvres.
Le
recours, par les multinationales, à ce type de structure externe, dont la
philosophie est directement inspirée des méthodes nord-américaines, s’est
généralisé au cours des dernières années. Les exemples ne manquent pas. La technique
est toujours la même. Agir vite, très vite, en mettant l’ensemble des salariés devant
le fait accompli, au mépris, le cas échéant, de la législation du travail du
pays concerné.
À
Louviers, c’est le cabinet Prospheres qui a été chargé de la tâche. Prospheres : Transition et
Retournement, c’est leur objet. Mais jugeons plutôt de leur profession de
foi :
§ « Les acteurs les plus résistants au redressement sont souvent
les cadres dirigeants de l'entreprise qui, et c'est compréhensible,
reproduisent toujours les même recettes et portent à bout de bras un système
qui ne fonctionne plus.
§ Notre conviction est que le redressement d'entreprise est un véritable
métier qui s'apprend et qui s'enrichit au fur et à mesure des expériences.
§ Ce métier doit s'exercer en responsabilité juridique et
opérationnelle, jusqu'au mandat social, pour préserver les intérêts de
l'entreprise.
§ Nous considérons que notre rôle est aussi de faire émerger et mettre
en œuvre rapidement un business model durable et rentable ».
« Préserver les intérêts de
l’entreprise et mettre en œuvre un business model durable et rentable ». Pour les actionnaires, nous n’en
doutons pas un seul instant. Pour les travailleurs, c’est évidemment le cadet
de leurs soucis. La seule chose qui compte à leur égard, c’est de les leurrer pendant
un temps suffisant à l’exercice du démantèlement de l’entreprise, afin de ne
surtout pas leur laisser le temps de se retourner et de s’organiser pour faire
valoir leurs droits. C’est ainsi que la lenteur de la justice devient leur
alliée.
Dans la
ville de Pierre Mendès France, sur les lieux mêmes de l’usine qu’il inaugura en
1957, à moins de trois semaines de l’élection présidentielle et dans la ville
test choisie par TF1, cela fait un peu désordre. Et risque fort de ne pas
passer inaperçu.
Reynald
Harlaut
Front de
Gauche
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