3 avril 2012

La casse continue : Cinram en danger !

La Droite avec Nicolas Sarkozy et le MEDEF s’est fixé un objectif dès son arrivée au pouvoir en 2007. En finir une fois pour toutes avec le pacte social républicain issu du Conseil national de la Résistance. Denis Kessler, un ancien dirigeant du MEDEF, s’en vantait même. Liquider ce qu’ils appellent par un abus de langage dont ils sont coutumiers « l’État providence », c’est-à-dire un État dont le rôle est de veiller aux grands équilibres. Un État qui assure la cohésion et la solidarité nationale en protégeant les plus faibles. Non pas en sollicitant la bienveillance et la charité des plus riches à l’égard des plus démunis, mais en organisant la redistribution des richesses produites et en veillant au bon fonctionnement du système de protection sociale institué au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale : sécurité sociale et système de retraite par répartition. Un État qui, par le Code du Travail, garantit des droits aux travailleurs dans l’entreprise.

Tout cela leur est intolérable pour deux raisons différentes, mais qui ont ceci en commun : elles constituent un frein à l’hégémonie des puissances d’argent. La première est idéologique. C’est le principe même de solidarité qu’ils exècrent parce qu’il renforce la cohésion du peuple dans la société et des travailleurs dans l’entreprise. La seconde est financière. La protection sociale dans son ensemble, tout comme l’éducation et la santé, constituent une masse énorme de capitaux qui leur échappe parce que soustraite au marché et à la spéculation et sur laquelle ils entendent mettre la main.
Pour parvenir à l’objectif qu’ils se sont fixés, ils disposent de plusieurs leviers d’action. Les principaux sont les suivants :

-       En premier, affaiblir l’État par tous les moyens. C’est la fameuse Révision générale des politiques publiques ou RGPP qui, au motif vertueux de réaliser des économies, déstructure les services de l’État au point de les rendre inopérants. On en tirera ensuite argument pour affirmer que tout ce qui est dirigé par l’État est inefficace. C’est aussi la diminution des recettes de l’État par la privatisation de ce qui lui rapportait, par la réduction des impôts et les cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises ainsi que par toutes sortes d’exonérations de charges sociales. Toutes ces mesures ont en commun un point. Elles ont considérablement aggravé la dette et fournissent aujourd’hui le motif de poursuivre et d’amplifier les politiques d’austérité qui, comme par hasard, s’attaquent à l’éducation, à la santé et à la protection sociale.

-       En second, pulvériser le code du Travail pour en finir avec la sécurité qu’apportent aux salariés le contrat de travail, les accords d’entreprise, les accords de branche, les conventions collectives et enfin la loi qui, au sommet, a étendu à toutes et tous, chaque fois que le rapport de force était favorable, le bénéfice des accords patiemment construits après des années de luttes.

-       En dernier, et cela rejoint le premier point en fermant la boucle, affaiblir la justice en lui refusant les moyens de fonctionner correctement. Ainsi, devient-il, notamment pour les salariés, de plus en plus difficile de faire valoir ses droits et, lorsqu’ils ont été reconnus, de les faire s’appliquer. On ne compte plus dans ce pays le nombre de décisions de justice qui ne sont pas suivies d’effet parce que la loi républicaine, dont l’État est pourtant le garant, n’est plus appliquée.

Qu’on nous pardonne ce long préambule, mais il nous a paru nécessaire de fixer le cadre dans lequel se situe ce qui va suivre.

Dans le contexte actuel, il est tentant pour des entreprises de mettre sur le compte de la crise des restructurations dont l’objectif réel n’est pas de faire face à une conjoncture économique difficile, mais beaucoup plus prosaïquement d’accroître leurs profits pour satisfaire des actionnaires toujours plus exigeants. De ce point de vue, M-Real constitue un cas d’école. Il n’est hélas pas le seul et une nouvelle affaire de cet ordre s’invite désormais sur notre secteur. Celle de l’usine CINRAM de Louviers dont la fermeture semble à présent inévitable.

Le groupe CINRAM dont le siège se situe au Canada, à Toronto, dispose en Europe de plusieurs sites de production. À de nombreuses reprises, au cours des dernières années, les salariés lovériens ont tiré la sonnette d’alarme, déplorant l’absence d’investissements alors que dans le même temps se produisait une évolution significative du marché vers d’autres supports. Qu’on en juge : CINRAM employait sur son site de Louviers, 388 salariés en 2000, 226 en 2006 et 106 aujourd’hui. La perte de marchés comme celui de Warner en 2010 qui représentait alors 34% de l’activité du site pour la fabrication des DVD a fait le reste. De là à penser que nous sommes face à une stratégie délibérée de fermeture, il n’y a qu’un pas.

Et comme toujours en pareil cas, avec ces multinationales, on ne s’embarrasse pas de bonnes manières. La direction en place à Louviers a été débarquée sans ménagement et remplacée au pied levé par un cabinet de « Cost Killers », sorte de commando exécuteur des basses œuvres.

Le recours, par les multinationales, à ce type de structure externe, dont la philosophie est directement inspirée des méthodes nord-américaines, s’est généralisé au cours des dernières années. Les exemples ne manquent pas. La technique est toujours la même. Agir vite, très vite, en mettant l’ensemble des salariés devant le fait accompli, au mépris, le cas échéant, de la législation du travail du pays concerné.

À Louviers, c’est le cabinet Prospheres qui a été chargé de la tâche. Prospheres : Transition et Retournement, c’est leur objet. Mais jugeons plutôt de leur profession de foi :
§  « Les acteurs les plus résistants au redressement sont souvent les cadres dirigeants de l'entreprise qui, et c'est compréhensible, reproduisent toujours les même recettes et portent à bout de bras un système qui ne fonctionne plus.
§  Notre conviction est que le redressement d'entreprise est un véritable métier qui s'apprend et qui s'enrichit au fur et à mesure des expériences.

§  Ce métier doit s'exercer en responsabilité juridique et opérationnelle, jusqu'au mandat social, pour préserver les intérêts de l'entreprise.
§  Nous considérons que notre rôle est aussi de faire émerger et mettre en œuvre rapidement un business model durable et rentable ».

« Préserver les intérêts de l’entreprise et mettre en œuvre un business model durable et rentable ». Pour les actionnaires, nous n’en doutons pas un seul instant. Pour les travailleurs, c’est évidemment le cadet de leurs soucis. La seule chose qui compte à leur égard, c’est de les leurrer pendant un temps suffisant à l’exercice du démantèlement de l’entreprise, afin de ne surtout pas leur laisser le temps de se retourner et de s’organiser pour faire valoir leurs droits. C’est ainsi que la lenteur de la justice devient leur alliée.

Dans la ville de Pierre Mendès France, sur les lieux mêmes de l’usine qu’il inaugura en 1957, à moins de trois semaines de l’élection présidentielle et dans la ville test choisie par TF1, cela fait un peu désordre. Et risque fort de ne pas passer inaperçu.

Reynald Harlaut
Front de Gauche

 

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