16 septembre 2011

En finir avec la fable de la dette par Reynald Harlaut


« Il n’est pas de jour à présent sans qu’on en parle. La dette. Nous serions endettés, ne cesse t-on de nous répéter, au-delà du raisonnable, hypothéquant ainsi l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants. Il faut donc de toute urgence nous désendetter. C’est une question de bon sens, et présentée comme cela, nous y souscrivons toutes et tous. Comme il était évident l’an passé que, vivant plus longtemps, il était normal que nous travaillions plus longtemps. Méfions-nous de ces évidences. Au XVe siècle, il était évident pour l’homme que la terre était fixe et que le soleil tournait autour d’elle.
Qu’est-ce que la dette ? Quelles en sont les raisons ? Quels sont les critères de son calcul ? Comment y faire face et comment sortir de la dictature des marchés financiers ? C’est ce que nous allons voir dans cette série d’articles.

I - Qu’est-ce que la dette ? Bonne dette et mauvaise dette

Sauf à fonctionner comme le faisaient les sociétés primitives, nous avons toutes et tous, les particuliers comme les États, besoin de recourir à l’emprunt. Pour aménager le territoire : construire les infrastructures : des routes, des ponts, des lignes de chemin de fer, produire l’énergie dont nous avons besoin, construire des hôpitaux et des écoles, etc. les États et ou les collectivités territoriales empruntent. Comme le font les particuliers pour acheter un logement, une voiture, faire de gros travaux, etc. Cet argent emprunté pour investir dans l’avenir, c’est de la dette bien-sûr, mais c’est de la bonne dette.
En revanche, emprunter pour régler les dépenses de fonctionnement ou pour assurer les fins de mois – pour les États par exemple, pour payer les traitements de fonctionnaires, ou pour les particuliers pour régler les dépenses courantes – c’est aussi de la dette, mais de la mauvaise dette.
Par conséquent, considérant le montant de la dette, il convient avant tout de distinguer bonne dette et mauvaise dette et de faire la part de chacune d’entre elles dans la constitution de la dette globale dont on nous parle. Ce qui, on le constate, n’est jamais fait.

II - Quelles sont les raisons de l’augmentation de la dette de la plupart des États au cours des dernières années ?



Lorsqu’on écoute le Premier ministre : la réponse à cette question paraît simple et de bon sens. Nous dépensons trop. Nous vivons au-dessus de nos moyens (sous-entendu nos systèmes d’éducation, de santé, de justice, etc., c’est-à-dire nos services publics coûtent trop cher). Il nous faut donc réduire nos ambitions dans tous ces domaines. C’est ce qui est fait depuis 2007 avec la RGPP (Révision générale des politiques publiques), avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant en retraite. Il est aisé d’en mesurer dès aujourd’hui les conséquences.

Mais, comme dans tout budget, il convient aussi d’analyser les recettes et leur évolution. Ce que se gardent bien de faire nos gouvernants. Et pour cause. Depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs de droite – mais de manière incompréhensible aussi ceux de gauche – n’ont cessé d’appauvrir l’État en réduisant avec application et obstination ses recettes. Ce fut par la privatisation de la plupart des entreprises nationales. Mais aussi par la distribution d’avantages fiscaux ou d’exonérations de charges qui sont autant de recettes en moins pour les caisses de l’État et des organismes ayant en charge la protection sociale. Songeons que depuis 2007, ce sont quelques 100 milliards d’euros qui ont été distribués annuellement par l’état sous forme de cadeaux fiscaux et d’exonérations de charges. Essentiellement pour les plus riches est-il utile de le rappeler. La « modération salariale », doux euphémisme pour désigner le blocage des salaires a fait le reste en déséquilibrant le système économique. C’est ainsi qu’au cours des vingt dernières années, plus de dix points de richesse produite sont passés chaque année de la poche des salariés à celle des actionnaires.

L’augmentation de la dette n’est donc pas, comme on veut à tout prix nous le faire croire, tant le résultat d’une augmentation inconsidérée des dépenses, que celui d’une diminution importante des recettes.



III - Des critères utilisés pour le calcul de la dette



Le niveau d’endettement pour chacun d’entre nous, c’est – ainsi que le calcule notre banquier –, le rapport existant entre revenu mensuel et capacité à rembourser des emprunts. Il est généralement admis que l’endettement global d’un ménage ne doit pas dépasser un tiers de ses revenus mensuels.



Pour l’État, il n’en va pas de même. Les critères de calcul sont différents. D’une part, il a été par convention défini que le niveau d’endettement d’un pays serait exprimé en pourcentage du PIB (produit intérieur brut) annuel. Ceci conduit à un taux d’endettement qui se situe actuellement pour la France autour de 80%. La dette représente 80% du PIB. De quoi nous effrayer à l’évidence. Notons au passage qu’elle se situait en 2007, avant l’entrée en fonction de l’actuel président de la République, autour de 60%. La crise a bon dos. On mesure à quel point est fallacieuse cette idée reçue que la Droite au pouvoir serait par définition la fourmi bonne gestionnaire tandis que la Gauche au pouvoir dépensière serait la cigale. D’autre part, il a été défini tout aussi arbitrairement que dans tous les pays de la zone euro, le déficit annuel des budgets nationaux ne devrait pas excéder 3%. Pourquoi 3% ? Pourquoi pas 2% ou 5% ? Tout simplement parce que lors de la définition de ces critères, le taux de croissance de l’économie européenne se situait autour de 3%. Et qu’il fallait à tout prix arrêter un chiffre. C’est de cette disposition que les gouvernements des pays de la zone euro veulent faire une règle d’or qui s’affranchirait de la souveraineté des États.

Ce mode de calcul de la dette au regard du PIB est – nous allons le démontrer – totalement arbitraire. Pourquoi ? Parce qu’il met en relation des facteurs sans rapport. Familièrement dit, il mélange carottes et navets.

De deux choses l’une si l’on veut avoir une vision sensée de l’endettement telle qu’il s’applique aux particuliers. Soit on met en regard du montant de la dette, la durée des prêts et dans ce cas il faut la considérer en rapport du PIB du nombre d’années sur lesquelles elle se rembourse. On atteint alors un endettement pour la France d’environ 12 %. (la durée moyenne des emprunts d’État est de sept années. Il faut donc multiplier le PIB par 7 pour calculer le taux d’endettement). Quel ménage français qui s’est endetté pour acquérir son logement et sa voiture ne rêverait pas de n’être endetté qu’à hauteur de 12% ? Soit on considère la charge annuelle de la dette au regard du PIB, c’est-à-dire de la richesse produite annuellement. Et dans ce cas, on constate qu’elle représente autour de 2,5% du PIB.

Il n’est pas besoin de poursuivre plus avant pour comprendre que, dans les conditions actuelles, l’endettement du pays est tout à fait supportable.



IV - Comment faire face à la dette ? Sortir de la dictature des marchés financiers


Si tant est qu’en période de crise et de récession, il faille de surcroît réduire l’endettement plutôt que de relancer l’investissement, et par conséquent finir d’asphyxier la machine économique – comme on le voit en ce moment même en Grèce –, comment y parvenir ?

Laissons de côté le cas des États-Unis qui, avec le dollar comme monnaie internationale, font supporter à l’ensemble des pays du monde la charge de leur dette en usant allègrement de la planche à billets. Le dollar est aujourd’hui de la monnaie de singe. Mais regardons plutôt le cas du Japon. Au Japon, l’endettement se situe aujourd’hui autour de 200% du PIB. Qui parle de la dette japonaise ? En toute logique le Japon – si l’on en croit nos distingués économistes et le chaos qu’ils nous promettent pour la France avec l’endettement actuel –, devrait être depuis longtemps en faillite. C’est qu’au Japon, contrairement à nos pays européens, la dette souveraine est détenue par les Japonais eux-mêmes au travers de leur épargne. Pourquoi spéculeraient-ils contre eux-mêmes ? En France, rappelons-nous car ce n’est pas dans un passé si lointain, lorsque l’État avait besoin d’argent, il émettait un emprunt sous la forme de Bons du Trésor. Nos concitoyens ayant quelques économies à placer se rendaient à leur perception et les achetaient. Au nom de quelle idéologie et sous quel gouvernement a-t-on décidé qu’il faudrait désormais que l’État se prive de cette facilité et qu’il serait dans l’obligation d’emprunter aux banques privées et sur les marchés internationaux, à leurs conditions ?

Et pour rendre incontournable ce recours aux banques privées, qui a décidé d’interdire à la Banque centrale européenne de prêter directement des fonds aux pays membres ? Aujourd’hui, la BCE prête aux banques privées à 0 ou 1% des fonds que ces dernières prêtent ensuite aux États à 3 ou 3,5% pour les mieux notés. Pour les autres, comme la Grèce, à 16 ou 18%, c’est-à-dire à des taux frisant l’usure et qui ne font que les enfoncer davantage.

Qui a donc mis en place sinon les néo-libéraux qui régentent l’Union européenne avec la complaisance des socio-libéraux ce système hallucinant qui place les États sous la dictature des marchés financiers ? Jean-Luc Mélenchon l’a dit le 28 août au nom du Front de Gauche dans son discours de clôture du Remue-méninges de Grenoble, « les marchés financiers qui rassemblent tous les spéculateurs de la planète, ce n’est pas les rassurer qu’il faut, c’est leur briser les reins avant qu’ils n’achèvent de nous ruiner et d’entraîner le monde à la catastrophe ».

Pour ce qu’il est nécessaire d’emprunter, notamment pour l’investissement, il faut abolir cette absurde réglementation, ce qui permettra à la fois de sortir de cette dictature des marchés et offrira des fonds à des taux raisonnables.



V – Pratiquer l’austérité ou partager les richesses ?


Mais pour le reste, il faut absolument s’occuper de la question des recettes. Il faut une réforme fiscale qui remette à contribution égale le travail et le capital et qui répartisse équitablement l’impôt en fonction des revenus de chacun. N’est pas très loin non plus le temps où existait en France une tranche d’impôts à 65%. Cela fera fuir les riches nous dit-on. Eh bien qu’ils s’en aillent. La richesse de ce pays, elle n’est pas comme on le croit trop souvent dans les mains de cette poignée de parasites. La véritable richesse, elle est entre les mains des hommes et des femmes de notre pays. Elle est dans le haut niveau d’éducation de son peuple et dans son intelligence. C’est lui qui a conçu et fabriqué la fusée Ariane, le TGV et construit avec le concours des autres peuples européens une industrie aéronautique capable de rivaliser avec celle du pays le plus puissant du monde. Tous ces ingénieurs et tous ces travailleurs, il suffit de les mettre au travail sur les défis que nous avons à relever pour le siècle. C’est la planification écologique d’un développement qui ne mettrait pas en péril l’avenir de l’humanité. Pour cela, il faut la volonté de l’État au service de l’intérêt général.

Pour que les choses changent, il faut avoir savoir dire non. Les Françaises et les Français qui en 2005 ont dit non au Traité constitutionnel européen sont prêts à relever le défi. À la forfaiture de ce président voyou qui a ainsi piétiné la volonté du peuple souverain, qui bafoue chaque jour les règles institutionnelles et trahit les idéaux républicains, nous devons dire stop. Ça suffit comme ça ! »

Reynald Harlaut

Front de Gauche
 

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