11 mars 2019

Les gilets jaunes sont-ils victimes d'un mépris de classe ?

3000 manifestants dans le centre-ville de Rouen. ©Jean-Charles Houel
Je lis de nombreux textes, dont certains émanent d’éminents sociologues ou philosophes, mettant en évidence le « mépris de classe » dont seraient victimes les gilets jaunes. Pour justifier cette affirmation, ces intellectuels — aucun reproche dans ce mot — s’appuient sur des mouvements historiques anciens ou récents émanant du « peuple », toujours combattus avec férocité par des écrivains, des journalistes, des politiques aussi, convaincus qu’une forme d’analphabétisme rend incapables les protestataires d’accéder à la complexité du monde.

Il est évidemment facile de s’appuyer sur les actes et excès violents de certains gilets jaunes plus prompts à cogner du flic qu’à s’accorder sur des revendications claires et solides. Il n’empêche qu’après réflexion, je me demande si « le mépris » que certains constatent (voir l’attitude d’Emmanuel Macron en diverses circonstances) ne sert pas à discréditer un mouvement dans son ensemble alors même qu’il est une mosaïque pas facilement lisible.

Dans la rue du Gros Horloge à Rouen. ©Jean-Charles Houel
Qu’il y ait chez les gilets jaunes des ultras, à droite surtout, à gauche aussi, des xénophobes, des homophobes, des racistes, des antisémites, ne fait aucun doute. Les quenelles à la Dieudonné, les tags et graffitis, sont là pour le prouver. Faut-il pour autant amalgamer les femmes seules avec enfants, les retraités aux pensions minables, les artisans aux régimes de retraite inéquitables ? Faut-il pour autant nier la solidarité créée autour des ronds-points, le soutien aux mutilés des LBD, ce mouvement qui, depuis le 17 novembre dernier, a connu des hauts et maintenant des bas ? Le gouvernement ne pourra, lors de la synthèse issue des propositions du grand débat, laisser de côté l’aspiration à la justice fiscale, à la nécessité de tenir compte de l’inflation pour revaloriser retraites et salaires, de veiller à ce que les plus favorisés n’échappent plus à l’impôt comme ils le font frauduleusement ou avec l’optimisation fiscale.

Pour autant, le saccage du temple du Grand Orient de France (temple de la franc-maçonnerie locale) à Tarbes, montre bien que la société française conserve la mémoire des jours terribles. Même si je n’échappe pas au point Godwin (1) je ne peux m’empêcher de penser au régime de Pétain qui interdisait : socialisme, syndicalisme ouvrier, communisme, franc-maçonnerie, stipendiait les homosexuels, bannissait les juifs, en chantre du vieux Maurras.

Il est remarquable qu’il ait fallu le mouvement des gilets jaunes pour que des haines recuites autorisent François Ruffin à écrire, s’agissant d’Emmanuel Macron : «Votre tête ? Les visages sont marqués, normalement on y devine la trace de la souffrance. Mais vous, non, c’est sans cernes : vous transpirez l’assurance. Vous exhalez une classe. Vous portez en vous une suffisance. Ce rejet physique, nous sommes des millions à l’éprouver». Le directeur de la publication de fakir n’y va pas avec le dos de la cuiller. Il cogne et ça fait mal.
Jean-Marie Le Pen, en 1956, n’écrivait-il pas, parlant de Pierre Mendès France : "Vous n’ignorez pas que vous cristallisez sur votre personnage un certain nombre de répulsions patriotiques et presque physiques ». Ainsi la boucle serait bouclée. Les adversaires politiques seraient transformés en objets auxquels on ne reconnaîtrait plus le caractère personnel immuable de chacun mais dans lesquels on ne verrait que rejet individuel et attaques personnelles sans autre argument que les cernes sous les yeux ou la taille des oreilles. C’est minable.

Je n’irai pas, comme l’a écrit Edwy Plenel, directeur du site d’informations Mediapart à écrire que le mouvement des gilets jaunes c’est « la victoire des vaincus ». Pour cela, il faudrait des résultats matériels tangibles. C’est en tout cas, à défaut de victoire, une revanche sur des élites souvent sourdes et aveugles, souvent étrangères au monde réel du quotidien. Si, dans quelques semaines ou quelques mois, le regard porté sur ceux qu’on « méprise » se modifie en un certain respect, les actes 17, 18 ou 19 ne seraient pas inutiles.

(1) Godwin donne un point à chaque fois qu'une discussion ou un argument aboutit à une référence à la seconde guerre mondiale.


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