18 mars 2018

Les Tsiganes du camp d'internement de Louviers : des oubliés de l'histoire d'« un passé qui ne passe pas » (1)


Portraits de tsiganes internés. Les familles Léger, Waiss, Saultier…et tant d'autres.© Jean-Charles Houel
Pendant quelques mois, de 1940 à 1941, une carrière située au pied de la falaise crayeuse de la cote d’Elbeuf, à la sortie de Louviers, a servi de camp d’internement où 200 adultes et enfants de tous âges, considérés comme des êtres « asociaux et dangereux » ont vécu dans des conditions effroyables. Ces gens du voyage, ces tsiganes, après avoir été fichés, surveillés pendant des décennies, ont été plus de 20 000 en France à subir les affres et les souffrances de la marginalisation xénophobe ou raciste ou sont morts en déportation dans les camps de la mort nazis pour plusieurs centaines d’entre eux.

A l’initiative de Vanina Gasly, archiviste de la CASE, encouragée par Bernard Leroy, président de l’agglomération ,une conférence a été donnée ce samedi, au Moulin, devant une salle comble narrant l’histoire si méconnue de « ces Français pourtant sans Histoire » rehaussée par la participation de lycéens de Val-de-Reuil. Ces derniers, encadrés par plusieurs professeurs du lycée Marc Bloch, ont travaillé en effet sur l’itinéraire de ces familles dont les noms et les photographies appartiennent dorénavant à l’histoire locale et régionale. Donner un nom, mettre un visage, n’était-ce pas le premier pas de la réinsertion dans la communauté ?
 
Vanina Gasly. ©JCH
Jamais je n’aurais imaginé, moi qui ai fréquenté tous les quartiers de Louviers pendant des années, que le site ayant permis l’aménagement d’un broyeur à ordures ménagères (dans les années soixante-dix) avait servi bien des années auparavant de « refuge » obligatoire (entouré de barbelés, avec maintes interdictions à respecter scrupuleusement) à des familles françaises qu’un régime sans conscience voulait « sortir » de la société.

Les chefs de famille ont dû tout vendre : roulottes, chevaux, matériels divers, certains habitant même dans les grottes si peu hospitalières. Un témoignage filmé et projeté en fin de rencontre nous apprend que pendant quelques semaines, les occupants du camp purent continuer à rempailler, préparer les paniers, notamment, spécialités manuelles de ces familles nombreuses. Elles comptaient sept huit voire dix enfants qu’il fallait vêtir et nourrir dans les pires conditions. Vanina Gasly a réussi à restituer leur mémoire à ces familles françaises en narrant leur parcours de Louviers à Jargeau, dans le Loiret, où elles ont été internées jusqu’en 1945 après avoir quitté Louviers. Le fait est que, placé sous administration française, ces dernières ont eu la vie sauve mais après quelles privations : de liberté, de mouvement, de nourriture, de dignité bien sûr.

Profitant du 125e anniversaire de la naissance de la Société d’études diverses qui a servi de cadre à ces récits mémoriels, une cinquantaine de personnes, dont  le maire François Xavier Priollaud, ont participé, samedi matin, à la pose d’une plaque souvenir près du camp aujourd’hui disparu. Il faut croire que le secret de l'existence de ce camp fut bien gardé puisqu’il n’existe que peu de documents d’archives sur cet épisode de la seconde guerre mondiale, certains Tsiganes ayant pourtant dû contribuer à l’évacuation des gravats d’un Louviers bombardé !
Les Lycéens de Marc Bloch avec Bernard Leroy (CASE), Jean-Pierre Binay et Claude Cornu (SED). ©JCH
Au-delà de l’émotion compréhensible des descendants de ces familles, présents au Moulin hier, s’ajoutait un climat général empreint de compassion mais aussi d'une forme de «culpabilité» partagée à l’égard d’actions menées au nom de l’Etat français, un état qui ne pouvait plus porter le nom de République puisque la liberté, l’égalité et la fraternité avaient évidemment disparu. La SED est évidemment dans son rôle quand elle contribue à élargir le domaine de nos connaissances générales et particulières. D'autres initiatives seront à mettre à son actif en 2018.

(1) D'après le titre du livre d'Henri Rousso et Eric Conan.

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