26 février 2016

L'engagement de Martine Aubry en faveur d'une primaire à gauche est une chance car la gauche se réveille


La Gauche se réveille. Maintenant que Martine Aubry a donné son accord à l’organisation d’une primaire destinée à désigner le meilleur candidat pour défendre les valeurs mises à mal par François Hollande et Manuel Valls, une nouvelle route s’ouvre à tous ceux et toutes celles qui ne se résignent pas.
Se résigner, c’est anticiper la défaite de la gauche dès le premier tour, c’est considérer que le président sortant a le droit de se dispenser de devoir justifier et défendre son bilan, c’est également admettre que si le président sortant n’y va pas, le candidat naturel ne peut être que son premier ministre.

Daniel Cohn Bendit assure que le discours de Manuel Valls à Munich, discours dans lequel il fustige la naïveté d’Angela Merkel eu égard à l'arrivée massive des migrants, l’a décidé à lutter contre l’exécutif actuel. Cette parole du Premier ministre français, sur le territoire allemand qui plus est, doit être sévèrement condamnée. Angela Merkel, quelles que soient  les raisons (notamment démographiques) justifiant l’accueil des migrants, fait honneur à la démocratie et aux démocraties occidentales. Malgré Pegida, malgré les relents de racisme et aussi malgré les graves violences de Cologne, la chancelière allemande continue de plaider en faveur d’un accueil digne de ceux et celles qui fuient la guerre.

En ce que me concerne et au-delà de tous les reproches qu’on peut faire à ce gouvernement social-libéral vallsiste, je ne soutiendrai pas des hommes prétendant constitutionnaliser la déchéance de la nationalité. « Trop c’est trop » affirment Martine Aubry et ses amis. La déchéance de nationalité n’est ni du 19e siècle, ni du 21e siècle. C’est une pensée d’exclusion venue tout droit de l’extrême droite. Le droit du sol est dans les gènes de notre République. De la même façon que quiconque désire être Français peut le devenir à condition de partager notre communauté de destin. Vouloir inscrire dans le marbre une mesure symbolique, inefficace, inutile, montre bien que des digues morales ont sauté dans la tête des dirigeants de ce pays.

Quant au projet de loi El Khomry, le soutien du MEDEF, des ex-UMP, des centristes, démontre que la flexi-sécurité ( ?) une invention sémantique à faire rêver les patrons, ne répond pas aux desseins sociaux et justes qu’un gouvernement de gauche devrait proposer. Valls déplore l’absence de propositions de Martine Aubry. Les mois qui viennent devraient le combler puisque la primaire de gauche permettra à l’ensemble des protagonistes y participant de décliner leur projet pour la France mais avant tout pour les Français. Je suis certain qu’il ne sera pas déçu. En tout cas, il le sera moins que nous le sommes nous-mêmes à l’égard de ce gouvernement.

24 février 2016

« Trop, c'est trop ! » le réquisitoire de Martine Aubry (et ses amis) contre la politique du gouvernement Valls-Hollande

Martine Aubry lors du discours du Bourget. (capture d'écran)
Martine Aubry, Daniel Cohn-Bendit, Axel Kahn, François Lamy et Jean-Marc Germain, dénoncent la politique conduite par le gouvernement. Le Pacte de responsabilité, la déchéance de nationalité, le refus d’accueillir davantage de réfugiés et la réforme du code du travail leur font craindre un échec du quinquennat ainsi qu’un affaiblissement durable de la France et de la gauche. Cette tribune paraît dans le journal « Le Monde » de ce soir.

« Il est des vérités désagréables à dire, mais il est des moments où il faut savoir les mettre en pleine lumière. Trop, c’est trop ! Les motifs d’insatisfaction sur les politiques menées depuis 2012 n’ont pas manqué, et nous-mêmes, comme d’autres, n’avons pas manqué d’alerter. Depuis quelques mois, ces désaccords se sont mués en une grande inquiétude. La colère populaire s’est confirmée sans appel par quatre défaites électorales successives. Ce n’est plus simplement l’échec du quinquennat qui se profile, mais un affaiblissement durable de la France qui se prépare, et bien évidemment de la gauche, s’il n’est pas mis un coup d’arrêt à la chute dans laquelle nous sommes entraînés.
Bien sûr, nous n’oublions pas les succès de la COP21, la priorité donnée à la lutte contre les inégalités à l’école, les avancées de la loi santé. Mais, à côté de cela, que de reculs !

La gauche avait déjà assisté, incrédule, en janvier 2014, au pacte avec le Medef qui se révéla un marché de dupes. Nos mises en garde avaient alors été ignorées. Nous aurions aimé nous tromper. Malheureusement, de l’aveu du premier ministre lui-même, la réalité, tellement prévisible, est là : un million d’emplois promis, quelques dizaines de milliers tout au plus effectivement créés. Bien sûr, il fallait aider à la reconquête de la compétitivité de nos entreprises, mais pour cela il eût fallu cibler les aides sur celles exposées à la concurrence internationale et les lier à des contreparties précises.
Ces 41 milliards d’euros mobilisés pour rien, ou si peu, auraient été si utiles à la nouvelle économie, à l’écologie, à l’éducation et à la formation, aux territoires, à l’accès à l’emploi de ceux qui en sont le plus éloignés, au pouvoir d’achat, aux investissements publics et privés et donc aux carnets de commandes des entreprises. A chaque étape et par des voies multiples, nous avons fait des propositions précises pour relancer la croissance et l’emploi dans le cadre d’un nouveau modèle de développement social et écologique, et d’une réorientation de l’Europe, attelons-nous-y !
Puis, nous nous sommes vu infliger, à l’hiver 2015, ce désolant débat sur la déchéance de nationalité. Pourtant la France, autour du président de la République, s’était montrée digne et forte après les attentats de janvier comme de novembre. Nous avons approuvé l’état d’urgence comme le renforcement des moyens d’action de nos forces de l’ordre et des services de renseignement face à une menace terroriste d’un niveau sans précédent. A Versailles, le président de la République a émis l’idée d’une peine de déchéance de nationalité pour les terroristes. Très vite, chacun a compris l’impasse : réservée aux binationaux, elle est contraire au principe d’égalité ; appliquée aux mono-nationaux, elle fabriquerait des apatrides. Et, si ce débat nous heurte tant, c’est qu’il touche au fond à notre conception de l’identité de la France. Pour la gauche, l’identité française doit être républicaine, elle se définit comme une communauté non pas d’origine, mais de destin, fondée sur les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité.

Evitons cette fêlure profonde

Le texte adopté par l’Assemblée nationale a gommé les aspérités sans en supprimer les effets, et en les aggravant en étendant la déchéance de nationalité aux délits. Mis entre les mains de gouvernements futurs mal intentionnés, il ouvre la voie à toutes les dérives. Aller au Congrès de Versailles dans ces conditions serait une fêlure profonde pour la gauche et d’ailleurs aussi pour certains démocrates. Evitons-la. Substituons à cette déchéance de nationalité une peine de déchéance de citoyenneté ou d’indignité nationale inscrite dans la loi, frappant tous les terroristes quelle que soit leur origine.

Par une regrettable accélération du temps, la semaine dernière, ce fut la meurtrissure de l’indécent discours de Munich, à propos des réfugiés. Se revendiquer d’une liberté de ton n’autorise pas tout. Non, Angela Merkel n’est pas naïve, Monsieur le premier ministre. Non, elle n’a pas commis une erreur historique. Non, elle n’a pas mis en danger l’Europe, elle l’a sauvée. Elle l’a sauvée du déshonneur qui aurait consisté à fermer totalement nos portes à toutes ces femmes, ces hommes et enfants fuyant les persécutions et la mort et en oubliant ceux qui chaque jour perdent la vie en Méditerranée.

La fermeté, c’est le langage qu’il faut tenir à ceux des Etats européens qui s’exonèrent de toute solidarité, de toute responsabilité à l’égard des réfugiés. La France ne doit pas être de ceux-là. La France, quand elle s’appuie sur ces valeurs comme elle l’a fait dans son histoire en accueillant les opposants des dictatures par exemple, est un pays respecté, admiré et aimé. Cela oblige les femmes et les hommes qui le dirigent. La mission de la France n’est pas de dresser des murs, mais de construire des ponts. Sans nier un seul instant l’ampleur du problème, nous attendons de la France qu’elle se tienne aux côtés de ceux qui agissent.

Et, aujourd’hui, voici que l’on s’en prend au code du travail ! La gauche a appris des mouvements ouvriers qu’il n’y a pas de liberté sans égalité. Ce n’est pas une affaire de tabous. Le droit n’enferme pas, il libère. Il libère en arrêtant la liberté des autres où commence la sienne. Il libère en apportant aux plus faibles les droits qui visent à rééquilibrer les rapports dans l’entreprise.
C’est pour l’avoir ignoré que, partout au sein de la gauche, l’avant-projet de loi dit « El Khomri » a provoqué non plus de la déception, mais de la colère ! C’est toute la construction des relations sociales de notre pays qui est mise à bas en renversant la hiérarchie des normes, et en privilégiant l’accord dans l’entreprise dans un pays où le taux de syndicalisation est faible et où le patronat n’a jamais aimé la négociation. Les salariés vont subir un chantage permanent et les entreprises seront soumises à des distorsions de concurrence, alors que l’accord de branche unifie les conditions générales de travail pour les entreprises d’un même secteur. Et, à qui fera-t-on croire qu’en multipliant les facilités de licenciements, comme le prévoit le projet de loi – limitation du pouvoir d’appréciation du juge sur le motif économique, prise en compte des seules filiales françaises pour apprécier les difficultés économiques d’une multinationale, plafonnement à un niveau très bas des indemnités prud’homales pour licenciement abusif… – oui, à qui fera-t-on croire qu’on favorisera ainsi l’emploi ? Réduire les protections des salariés face au licenciement conduira plus sûrement à davantage de licenciements !

Pas nous, pas la gauche !

Qui peut imaginer que, en généralisant les possibilités de ne plus payer les heures supplémentaires en heures supplémentaires – calcul sur trois ans de la durée du travail, rémunération au forfait dans les PME, possibilité de déroger à un accord de branche pour les majorations… –, on améliorera la situation de l’emploi en France ? Qui peut faire croire qu’augmenter le temps de travail va diminuer le chômage ? Moins de pouvoir d’achat pour les salariés, moins d’embauche pour les chômeurs en cas de surcroît d’activité, est-ce bien cela que l’on veut dans un pays de plus de 3,5 millions de chômeurs et dont les entreprises souffrent de carnets de commandes trop peu remplis ?
Que le patronat institutionnel porte ces revendications, pourquoi pas, même si elles nous paraissent en décalage avec ce que nous disent les entreprises sur le terrain. Mais qu’elles deviennent les lois de la République, sûrement pas ! Pas ça, pas nous, pas la gauche !

Bien sûr, comme tout texte de régulation, le code du travail doit évoluer, au regard des changements du monde, mais sans affaiblir sa force protectrice. La gauche doit porter en la matière de grandes réformes sources de compétitivité pour les entreprises et de progrès social pour les salariés, telles que la sécurité sociale professionnelle, qui permettent à chacun au XXIe siècle de rebondir en cas de difficultés, sans passer par la case chômage, et de progresser tout au long de sa vie professionnelle.
Et puis, disons-le, la méthode n’est plus supportable. On brandit à nouveau la menace de l’article 49-3. Et alors, nos députés en désaccord doivent-ils dire que, dans ce cas, ils voteraient la censure ? Tout cela est déraisonnable. Une France gouvernée sans son Parlement est mal gouvernée. La démocratie est atteinte. Redonnons tout son pouvoir au Parlement, respectant ainsi la Constitution, les textes qui en sortiront n’en seront que meilleurs et leur légitimité renforcée.

Les valeurs, l’ambition sociale, les droits universels de l’homme, l’équilibre des pouvoirs, que restera-t-il des idéaux du socialisme lorsque l’on aura, jour après jour, sapé ses principes et ses fondements ? Nous n’ignorons rien des difficultés du moment, la crise économique, la montée du terrorisme, le réchauffement climatique, les migrations, la crise agricole… Nous n’ignorons rien des difficultés de l’exercice du pouvoir, nous l’avons montré. De l’idéal au réel, il y a toujours une distance que, depuis Jaurès, nous assumons d’accepter.

Mais prendre le monde tel qu’il est n’est pas renoncer à le transformer pour le rapprocher sans cesse de ce qu’il devrait être. Encore moins de l’éloigner de toute idée de justice. C’est pourtant ce qui est en train de se passer. Il ne suffit pas de se revendiquer du réformisme social pour en mériter le titre. Il n’y a ni vraie réforme ni social dans nombre de politiques qui sont menées depuis deux ans. On y trouve des propositions puisées dans le camp d’en face, qui n’ont rien de moderne, et qui sont inefficaces. Et, puisqu’on nous parle du serment de Versailles, rappelons-nous de celui du Bourget, mis à mal une fois de plus, et qui pourtant fonde la légitimité au nom de laquelle le pouvoir est exercé depuis 2012. Pour sortir de l’impasse, il faut de vraies réformes, synonymes de progrès économique, social, écologique et démocratique. Elles doivent être porteuses d’émancipation pour chacun et de vivre-ensemble pour tous. C’est ce chemin qu’il faut retrouver ! Celui de la gauche tout simplement ! »

Les signataires de ce texte sont : Claude Alphandéry (résistant, économiste engagé dans l’insertion), Martine Aubry (maire de Lille, PS), Daniel Cohn-Bendit (ancien député européen écologiste), Daniel Cohen (économiste, membre du conseil de surveillance du « Monde »), Laurence Dumont (première vice-présidente de l’Assemblée nationale, députée du Calvados, PS), Yann Galut (député du Cher, PS), Jean-Marc Germain (député des Hauts-de-Seine, PS), Annie Guillemot (sénatrice du Rhône, PS), Benoît Hamon (député des Yvelines, PS), Yannick Jadot (député européen, EELV), Bruno Julliard (premier adjoint à la maire de Paris, PS), Axel Kahn (généticien, essayiste), Chaynesse Khirouni (députée de Meurthe-et-Moselle, PS), François Lamy (député de l’Essonne, PS), Gilles Pargneaux (député européen, PS), Christian Paul (député de la Nièvre, PS), Laura Slimani (présidente des Jeunes socialistes européens) et Michel Wieviorka (sociologue).

Pesticides : les experts étaient payés par l'industrie chimique…que valent leurs études ?


Essaim de mai rentrant à la maison. (photo Jean-Charles Houel)
Dans les industries pharmaceutique et agroalimentaire, les conflits d’intérêts sont pléthore. Pas un rapport n’est publié sans qu’un indice de suspicion ne porte ombrage aux conclusions des soi-disant experts surtout quand ces derniers autorisent la mise sur le marché de médicaments ou de pesticides contre indiqués pour la bonne santé humaine ou animale.

Le journal Le Monde publie, ce soir, un long article consacré à un rapport destiné à être rendu public prochainement et relatif aux insectes pollinisateurs. Le journaliste auteur de l’article met en cause nommément deux scientifiques responsables de deux chapitres de ce rapport alors qu’ils sont salariés ou rétribués par des industriels de la chimie producteurs de molécules reconnues comme nuisibles pour les abeilles et les bourdons pour ne citer qu’eux. Que penser de leurs préconisations ?

A l’évidence, le conflit d’intérêts est patent. Personne ne peut comprendre ni accepter que des scientifiques travaillant au service d’industriels soient dans le même temps appelés à porter un jugement et des avis sur les produits utilisés en agriculture ou en apiculture. Même si ces scientifiques clament leur bonne foi et assurent que leur objectivité et leur honnêteté ne peuvent être mises en cause, ils devraient comprendre que si leurs constatations les poussent à certifier l’innocuité de certains produits comme les néonicotinoïdes par exemple l’utilisateur de bonne foi, lui aussi, est fondé à plus que s’interroger. Les apiculteurs savent depuis des années que ces produits ont entraîné la disparition de nombreuses colonies d'abeilles même si des causes multifactorielles peuvent expliquer la disparition de nombreux ruchers.

Quelles solutions ? D’abord la vigilance de la communauté scientifique. Si les deux experts ont été mis en cause dans l’étude sur les insectes pollinisateurs, c’est bien parce que certains membres du groupe choisi ont signalé le rôle de leurs collègues…au sein de l’industrie chimique. Ensuite l’attention plus soutenue des donneurs d’ordres lesquels devraient veiller à ce que les experts s’engagent à déclarer (avec contrôle éventuellement) leur situation véritable. On peut imaginer la création d’une haute autorité internationale indépendante susceptible de régler ces conflits d’intérêts nuisibles pour la probité mais également pour les insectes eux-mêmes et les produits que nous consommons.

23 février 2016

Bombardement de Bouaké : la juge d'instruction demande la traduction devant la Cour de justice de la République de trois anciens ministres de Jacques Chirac


En publiant, hier sur mon blog, les réflexions que m’inspirait le reportage de l’émission « Spécial Investigation » sur les conditions de la mort des neuf soldats français tués en côté d’Ivoire en novembre 2004, j’étais loin de penser que la juge d’instruction en charge du dossier Bouaké, Mme Sabine Kheris, était sur le point de demander la traduction devant la Cour de justice de la République de trois anciens ministres de Jacques Chirac. Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin et Michel Barnier (défense, intérieur, affaires étrangères) risquent donc d’avoir à justifier devant des juges l’absence de toute volonté d’enquêter sur une affaire troublante qui a permis aux pilotes biélorusses et leurs techniciens d’échapper à la justice française. La juge écrit selon l’article paru dans Médiapart aujourd’hui : « Il est apparu tout au long du dossier que tout avait été orchestré afin qu’il ne soit pas possible d’arrêter, d’interroger ou de juger les auteurs biélorusses du bombardement ».
 
Michèle Alliot-Marie, Dominique de Villepin et Michel Barnier, les trois anciens piliers du gouvernement de Jacques Chirac auraient pris cette décision de ne pas agir après « concertation à un haut niveau de l'État ». Ils encourent, chacun, trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour avoir « fourni à la personne auteur ou complice d'un crime ou d'un acte de terrorisme puni d'au moins dix ans d'emprisonnement un logement, un lieu de retraite, des subsides, des moyens d'existence ou tout autre moyen de la soustraire aux recherches » (article 434-6 du Code pénal).

La conclusion de la juge Kheris est sans appel : la décision de ne rien faire pour entendre les pilotes a été « prise à l’identique par le Ministère de l’Intérieur, le Ministère de la Défense et le Ministère des Affaires étrangères » qui savaient que les mercenaires slaves échapperaient ainsi à la justice. L’ordonnance pointe clairement une possible décision politique : l’instruction « permet de penser à l’existence d’une concertation à un haut niveau de l’État et non au fait que des services subalternes ou “techniques” aient géré la situation ».
L’avocat des familles des victimes affiche une satisfaction légitime dans la mesure ou une fois encore, il est prouvé que l’obstination d’une juge d’instruction peut venir à bout de tous les obstacles politiques placés sur le chemin de la vérité. Il reste au parquet à apprécier les propositions de la juge d’instruction dont la démonstration bien étayée semble implacable.

22 février 2016

Les familles des neuf soldats morts à Bouaké demandent justice


Après le bombardement du camp français Descartes. (photo l'œil d'Afrique)
L’émission « Spécial investigation » sur la chaîne payante (ou cryptée) Canal Plus est passionnante. Les journalistes d’investigation se montrent prudents, insistants, courageux et s’attachent à fouiller les dossiers les plus ardus mettant en cause des états, des gouvernements, des entreprises ou encore des mafias.

Bouaké. Ce nom de ville vous dit-il ou vous rappelle-t-il quelque chose ? L’action se passe en 2004 en Côte d’Ivoire. Le conflit fait rage entre les partisans de Laurent Gbagbo, constamment présenté comme socialiste ( ?) au cours du reportage, président de la Côté d'Ivoire. Il tient Yamoussoukro et Abidjan au sud. Au nord Allassane Ouatara (1) est à la tête des rebelles désireux de conquérir le pouvoir. Le 7 novembre, deux Sukhoï de l’armée de l’air ivoirienne, pilotés par des Biélorusses et des co-pilotes Ivoiriens, fondent sur un casernement de l’armée française et lâchent leurs bombes faisant neuf morts français, un mort américain et de nombreux blessés.

Les thèmes de l’émission sont les suivants : qui a donné l’ordre de bombarder les soldats français ? Pourquoi les pilotes en cause (2) n’ont-ils pas été arrêtés par ces mêmes solodats Français qui en ont eu l’occasion à plusieurs reprises notamment sur l’aéroport de Yamoussoukro qu'ils surveillaient 24 heures sur 24 ? Pourquoi le secret défense est-il opposé aux avocats des familles des victimes désireux de connaître la vérité même douze ans après les faits ? La journaliste qui mène l’enquête rencontre des témoins en France, en Côte d’Ivoire, pose les bonnes questions aux bonnes personnes. Et le moins que l’on puisse dire est qu’un épais brouillard entoure ces bombardements mis sur le dos de Laurent Gbagbo dont on comprend pourtant qu’il n’en avait aucun intérêt.

Au fil des témoignages, de la description précise des faits et de l’analyse géopolitique de l’affaire, on en vient à soupçonner (injustement ?) le gouvernement français (Chirac était président et Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense) dont l’attitude ne semble ni très claire, ni très nette. Jacques Chirac n’aimait pas Laurent Gbagbo non plus que Dominique de Villepin, ministre de l'Intérieur, pris en flagrant délit de grosse colère contre le président ivoirien. Il existe également une hypothèse mettant en cause l'entourage du président Gbagbo mais la juge d'instruction en charge du dossier doit encore progresser.

L’émission se termine après qu’on a appris que la journaliste a été en contact avec l’un des pilotes biélorusses, lequel se plaint de ne pas avoir été payé de la totalité de la somme qu’on lui avait promise pour son acte de guerre et que n’ayant aucune confiance dans la presse, il n’a plus donné signe de vie. On reste donc sur sa faim…

(1) Il deviendra président après le départ de Laurent Gbagbo…
(2) On connaît leurs noms mais pas leur domicile ou leur lieu de résidence.