25 avril 2016

La liberté de la presse ne s'use que si l'on ne s'en sert pas


Claude Cornu a animé le débat. (photo JCH)
Il me faut revenir sur le débat qui a succédé à la conférence de Mme Cécile-Anne Sibout, samedi dernier, devant la SED de Louviers et consacrée à l’histoire chaotique du quotidien Paris-Normandie aujourd’hui à l’agonie. Beaucoup a été dit mais beaucoup reste à dire. On ne peut pas parler impunément d’un sujet aussi important que la mort éventuelle de la presse locale sans en mesurer les conséquences fâcheuses pour les salariés des entreprises de presse dont le métier serait brutalement remis en cause, pour les lecteurs privés de leur priorité au petit café du matin, pour tous ceux et celles, enfin, préoccupés du sort d’un outil d’informations générales et d’un moyen au service de la vie démocratique régionale.

Qu’est-ce qu’un journal local ? A quoi sert-il ? Pourquoi défendre ce type de presse moins « noble » (1) apparemment que la presse nationale mais non moins utile aux habitants d’une région ? La presse locale est un reflet de la vie d’un territoire, d’une ville, d’un département, d’une région. Elle sert à rendre compte des actions des élus, de leurs projets, mais aussi des activités des institutions, des associations, des clubs sportifs, des événements qui jalonnent le cours de l’existence commune (faits divers, communiqués, carnet, concerts, spectacles, etc.) ainsi que du présent et de l’avenir des entreprises, qu’il s’agisse des créations d’emplois ou sujet plus délicat des conflits entre salariés et directions…

La presse locale, pour peu qu’elle soit animée par des journalistes passionnés et curieux, porte aussi des regards sur des sujets et des hommes ou des femmes ignorés, inconnus, volontairement ou non. Elle met au jour des scandales ou des conduites « immorales » ou délictuelles, elle rend compte des procès prud’homaux, correctionnels, aux Assises et des actes que la loi récuse ou condamne. La presse locale est une vigie vigilante…elle demeure, à sa façon, un lanceur d’alerte. Pour ce faire, il lui faut des dirigeants compétents, indépendants des groupes financiers et des groupes de pressions de tous ordres pour que les journalistes demeurent libres de leurs choix et de leur vision du monde. Le pluralisme doit ainsi permettre d’exprimer toutes les contradictions de la société.

J’aime à assurer que la presse locale est un lien, un liant. Elle permet dans un espace réduit, à ses habitants de partager un destin commun. Les jeunes adultes ne lisent pas ou alors très peu, la presse locale. Question d’éducation et de culture. Et c’est là que le bas blesse. L’avenir s’assombrit dès lors que le renouvellement des lecteurs n’existe plus. Mon amie, Nelly Guilbert, assure que les blogs peuvent être ces nouveaux supports d’information globale. Ils en sont assurément l’un des vecteurs. Mais il n’existe que peu d’exemples (le Bondy Blog, le blog de Me Eolas) de blogs ayant pignon sur rue. Ce moyen d’expression n’en est pas à ses balbutiements pourtant il est encore loin d’avoir atteint un degré de performance et de confiance comparable à celui de la presse écrite. Question de temps sans doute.

Le contre-exemple nous est donné par les sites d’actualité régionaux promus par des mécènes disposant de certains moyens financiers. A l’exemple de Médiapart, je rêve d’une France et de régions peuplées de sites Internet aptes à rendre compte de la diversité des opinions, des sources courageuses aussi car sans elles, il n’existe pas de journalisme d’investigation dignes de ce nom. Un mot enfin sur la volonté exprimée par François-Xavier Priollaud sur son désir d’aider la presse locale en achetant des pages d’informations générales et d’intérêt public. Quand Paris-Normandie aura rendu son dernier soupir, notre région subira le monopole de Ouest-France. Je ne vois pas une collectivité territoriale soutenir un unique groupe de presse régional (du Tréport à Royan) au nom du pluralisme. Et encore moins au nom de la liberté…

(1) Mon expérience au sein de La Dépêche de Louviers me permet de penser que le journaliste localier est considéré par ses confrères parisiens comme un « prolétaire » titulaire de la carte de presse, certes, mais ne devant pas être comparé aux soi-disant maîtres de la plume…

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