5 mai 2014

Quand Ernest Martin expliquait la politique culturelle de Louviers à Ariane Mnouchkine


Lorsque l’Etat ou une collectivité locale — surtout si elle dirigée par un maire FN ou UMP — veut réaliser des économies, il s’attaque à la politique culturelle ou aux activités d’animation culturelle. Il faut croire que les élus FN et UMP (socialistes malheureusement aussi parfois) ont envie de sortir leur révolver quand ils entendent le mot culture.
A Louviers, j’ignore quel sera le sort réservé à la convention liant la ville de Louviers à la ville d’Evreux et à la Scène nationale. Ce qu’on sait des intentions de M. Priollaud, nouveau maire, c’est qu’il veut créer un festival de musique classique pourquoi pas en osmose avec le Moulin d’Andé, où Suzanne Lipinska a développé musique de chambre, académies estivales, concerts pour orchestres ou solistes accompagnés. La semaine Alexandre Paley, pianiste mondialement renommé, rencontre plus qu’un succès d’estime.
Même s’il n’en a rien à faire, je souhaite évoquer à l’intention du nouveau maire de notre ville, une anecdote liée à la venue à Louviers du Théâtre du Soleil dont on fête cette année le 50e anniversaire de sa création. J’ai raconté récemment comment Ariane Mnouchkine avait accepté de recevoir à la Cartoucherie de Vincennes le comité de grève de l’usine Zimmerfer en 1972. En réalité ses liens avec Louviers dataient de 1967. Cette année-là (1) Dans le cadre du festival de l’été, Ernest Martin, maire, avait invité Ariane Mnouchkine à présenter à Louviers « La Cuisine » d’Arnold Wesker. Ceux qui souhaitent en savoir plus sur le contenu de la pièce de théâtre donnée à la salle des fêtes d’alors peuvent trouver sur Internet un synopsis apte à satisfaire leur curiosité.
L’anecdote est la suivante : Ernest Martin considérait que l’action culturelle devait se voir consacrer un budget équivalent à celui destiné à l’enlèvement et au traitement des ordures ménagères. « Les citoyens ne discutent pas les dépenses engendrées par ce service alors qu’on pinaille sur l’entrée libre pratiquée pour la culture active. » En effet, en apprenant que l’entrée de la salle serait ouverte à tous sans bourse déliée, Ariane Mnouchkine menaça de ne pas jouer. Pour elle « la gratuité » était le symbole d’un mépris à l’égard des artistes lesquels méritaient « qu’on paie pour les voir. » Je me souviens des explications politiques et financières d’Ernest Martin. La culture est un droit et une municipalité de gauche sait qu’il est plus facile de payer pour un loisir passif (une place de cinéma par exemple) ou pour une addiction (un paquet de cigarettes) que pour un spectacle vivant. 
Faire l’entrée libre c’est au contraire placer la barre très haut et considérer qu’aucune barrière sociale ou financière ne doit entraver l’accès aux œuvres de l’esprit. Convaincue, Ariane Mnouchkine donna la pièce, laquelle fit salle comble et les comédiens furent magnifiquement fêtés. Il en est de même avec les bibliothèques ou autres médiathèques. De nombreuses communes acceptent aujourd'hui de prêter des livres « gratuitement » ce qui est un mot impropre puisque l’impôt permet non seulement d’acquérir des ouvrages mais aussi d’assurer les frais de fonctionnement.
Avant de poursuivre ou non la convention avec la Scène nationale, M. Priollaud ne devrait pas avoir le réflexe parisien d’Odile Proust. Elle considérait que les Lovériens n’étaient pas murs pour avoir un théâtre. Nous saurons bientôt si M. Priollaud considère qu’ils sont assez murs pour continuer à apprécier (ou non) les programmes de la Scène nationale.

(1) La cuisine d’Arnold Wesker, adaptation de Philippe Léotard, mise en scène d’Ariane Mnouchkine, décor de Roberto Moscoso.
Création le 5 avril 1967 au Cirque de Montmartre. En 1968, représentations dans des usines à St Etienne, Grenoble, puis à Paris. Reprise en alternance avec Les Clowns à l’Elysée Montmartre en 1970.
63 400 spectateurs.

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