3 février 2014

« Tant que tu n'as pas ta tête dix mètres devant toi, rien de grave ne t'est arrivé » Ernest Martin


Henri Fromentin et Ernest Martin, deux hommes si différents mais tellement complémentaires. (photo Jean-Charles Houel)
Il y avait foule (notre photo) ce matin au Moulin à Louviers, pour rendre un dernier hommage à Ernest Martin, décédé l’autre samedi. Au côté de ses enfants et de ses petits-enfants, se pressaient élus locaux, amis, anciens patients, ainsi que tous ceux qui, comme l’indique le faire-part de décès, ont « un jour croisé son chemin ». Ceux qui l’ont aidé à cheminer sur la route qu’il suivait se sentaient évidemment un peu plus à l’aise.
Croiser le chemin d’Ernest pouvait se faire sur bien des théâtres d’action et d’engagement. Ou par des sentiments partagés avec un homme à l’élégance d’esprit généreuse et à la recherche de ce qu’il y avait de meilleur dans chacun(e) de ses interlocuteurs (trices).
Ce pouvait être dans la salle d’attente de son cabinet médical où la patience était plus qu’une vertu, à la mairie où sa constante présence illuminait les salles de réunion et les bureaux des agents municipaux (1) à l’hôpital où le chef de service voyait s’emplir « l’incubateur » (comme il disait) et soignait autant l’âme que les corps. Sa vision de la médecine était on ne peut plus simple : débusquez l’origine de votre mal de vivre et vous saurez comment donner un sens à votre vie. Et puis cette phrase qui revenait comme un leitmotiv : « tant que tu n’as pas ta tête dix mètres devant toi, rien de grave ne t’est arrivé. »
Médecin, maire, animateur d’un groupe d’anciens alcooliques, préparateur à l’accouchement sans violence, pratiquant de l’interruption volontaire de grossesse, créateur du service de la famille, toutes ses actions n’avaient qu’un objectif : servir les autres, les « réassurer » pour atténuer leurs blessures psychologiques ou physiques. Mais résumer Ernest à sa seule action collective serait réducteur.
Monique Morelli à Louviers. (photo JCH)
C’était quelqu’un qui n’avait rien de triste. Il était du côté d’Eros. Il aimait la vie, la bonne chère, la compagnie des hommes et des femmes. S’il savait être intransigeant sur les comportements engageant le collectif, il témoignait également d’une rare compassion à l’égard des dérives personnelles ou des victimes d’une société brutale, peu fraternelle, tout orientée vers la recherche du profit. Il identifiait cela comme un mal social, un mal trouvant aussi son origine dans une petite enfance insuffisamment sublimée par des parents parfois insouciants ou souvent mal informés. D’Ernest, il faut retenir l’image d’un homme bon, tendre, amical. Franck a eu raison d’insister sur la douceur de ses gestes de médecin…C’était le témoignage d’un grand respect des personnes et des corps.
Des différentes prises de paroles, toutes empreintes d’une même émotion et d’une même admiration, je retiendrai surtout celle de Renaud, son dernier enfant. Renaud est engagé en politique à Paris au sein d’Europe-Ecologie-Les-Verts. Il sait maintenant tout des discussions entre appareils et partis de gauche, des contradictions internes au mouvement écologiste, de la difficulté de militer en 2014 en étant crédible. Cette science qu’il possède, il l’a puisée auprès de son père dans le reflet de ses idées et de sa fidélité aux valeurs et aux amis. Renaud a su restituer à sa juste place le rôle éminent de son père et de ses convictions partagées par un groupe — le Comité d’action de gauche — qui, comme son nom l’indique, était épris d’action mais d’action à gauche. Sans l'attention permanente et le soutien absolu de son épouse Nicole, sans les élus du CAG, les militants et les sympathisants du CAG, rien n’eût été possible. Renaud s’est souvenu de la table ouverte,  des soirées interminables à reconstruire le monde, des discussions franches et parfois agitées, des éclats de rire, jusqu’aux remises en question des vies personnelles jusque là tristes à en mourir. Le choix des musiques de ce matin reflétait bien les goûts d’Ernest : « Le temps des cerises » par Montand, « Maintenant que la jeunesse » par Monique Morelli, « Le feu » par Hélène Martin, autant d’hymnes au Devenir, nom du journal du CAG.
Après une telle cérémonie, je pense à ce que disait Guitry : « quand on vient d’écouter du Mozart, même le silence est du Mozart. » Quand on vient d’entendre tant d’éloges, tant de souvenirs évoquant la belle vie d’Ernest Martin…la nostalgie est toujours ce qu’elle était.

Dans la salle du Moulin ce matin. (photo JCH)
(1) dont j’étais avec Paul Astégiani, secrétaire général, associés et complices de tous les projets collectifs de 1965 à 1969 ou de 1976 à 1983, et avec Claude Blanluet après l’intermède Xavier Bolze à la tête des services.

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