10 janvier 2014

Portrait d'un antisémite par Jean-Paul Sartre


En octobre 1944, Jean-Paul Sartre a écrit ses « réflexions sur la question juive ». Par les temps qui courent voilà un livre qui mérite d’être relu. J’ai extrait ce passage (p 56, 57 et 58 de l’édition Folio) dans lequel Sartre dresse le portrait de l’antisémite :
« Nous sommes en mesure à présent de le comprendre. L’antisémite c’est un homme qui a peur. Non des Juifs, certes, de lui-même, de sa conscience, de sa liberté, de ses instincts, de ses responsabilités, de la solitude, du changement, de la société et du monde ; de tout sauf des Juifs. C’est un lâche qui ne veut pas s’avouer sa lâcheté, un assassin qui refoule et censure sa tendance au meurtre sans pouvoir la réfréner et qui, pourtant, n’ose qu’en effigie ou dans l’anonymat d’une foule ; un mécontent qui n’ose se révolter des peurs des conséquences de sa révolte. En adhérant à l’antisémitisme, il n’adopte pas simplement une opinion, il se choisit comme personne. Il choisit la permanence et l’impénétrabilité de la pierre, l’irresponsabilité totale du guerrier qui obéit à ses chefs — et il n’a pas de chef. Il choisit de ne rien acquérir, de ne rien mériter mais que tout lui soit donné de naissance — et il n’est pas noble. Il choisit enfin que le Bien soit tout fait, hors de question, hors d’atteinte, il n’ose le regarder de peur d’être amené à le contester et à en chercher un autre. Le Juif n’est ici qu’un prétexte ailleurs on se servira du Nègre, ailleurs du Jaune. Son existence permet simplement à l’antisémite d’étouffer dans l’œuf ses angoisses en se persuadant que sa place a toujours été marquée dans le monde, qu’elle l’attendait et qu’il a de tradition le droit de l’occuper. L’antisémitisme, en un mot, c’est la peur devant la condition humaine. L’antisémite est un homme qui veut être un roc impitoyable, torrent furieux, foudre dévastatrice : tout sauf un homme. »

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