17 novembre 2012

« Maurice Pons en toutes saisons » un film d'Isabelle Singer

Isabelle Singer, réalisatrice, avec Maurice Pons, au Moulin d'Andé. (photo JCH)
Christian Bourgois a raison : « Les Saisons » sont un livre-culte. Il existe une grande famille, bien au-delà des seuls cercles littéraires, pour apprécier ce grand livre de Maurice Pons. Et quand l'éditeur parisien affirme que Maurice est soutenu par les amoureux de la littérature, il ne fait que confirmer ce qu'on savait déjà : l'ami du Moulin d'Andé habite les sommets du style, avec une écriture peuplée d'images «horribles» et de descriptions enfantines. « Des souvenirs d'enfants devenus des histoires pour adultes. » Mais cette littérature ne serait rien sans son histoire personnelle émouvante et un engagement solide.
Le film d'Isabelle Singer, tourné sur une dizaine d'années, « Maurice Pons en toutes saisons » fait la part belle à un écrivain contemporain de grand talent, construit au sein d'une famille alsacienne strasbourgeoise, balloté par la guerre et l'occupation allemande, rasséréné par sa rencontre avec Suzanne Lipinska et le Moulin d'Andé et doté d'un sens aigu de la justice ainsi que du refus militant de toute violence et de tout acte de barbarie pour régler les problèmes politiques ou sociaux. Ah, Guy Mollet…
S'il semble simple aujourd'hui de lire le manifeste des 121 sorti en 1961 contre la torture en Algérie et pour l'indépendance de ce pays, faisons-le sans anachronisme. On doit se souvenir qu'à l'époque le Maccarthysme ambiant à la française a entraîné arrestations, pressions, coercition contre les intellectuels (écrivains, philosophes, comédiens…) signataires d'un texte très courageux. « Le passager de la nuit » ou « Embuscade à Palestro » — autres livres de Maurice — relatent avec une audace littéraire et morale l'histoire de ces hommes (et femmes) porteurs de valises, soutiens du FLN en France. « On dit, précise Maurice Pons, que le manifeste des 121 était un appel pour la paix en Algérie. C'était surtout un appel à soutenir l'indépendance et ceux qui se battaient pour l'obtenir. »
Revenons au cinéma documentaire. Isabelle Singer filme Névache, la vallée de la Claret, la montagne et les mélèzes, les routes et les maisons des souvenirs de Maurice Pons. Elle filme cet homme bon, doué pour le bonheur, pour le partage, et l'enregistre alors qu'il lui narre son élan créatif, son destin d'écrivain, sa propension à ne rien faire, son amour des mots. Elle en fait un film délicieux, délicat, une gourmandise. Et pourtant. Aucune chaîne de télévision n'a encore accepté d'acheter cette œuvre au point que certains responsables n'ont même pas répondu aux sollicitations de l'auteure. C'est, selon François Loncle, présent à la soirée spéciale consacrée à Maurice Pons, « la preuve d'un état d'abandon et de déliquescence de la télévision d'aujourd'hui. »
Il serait triste de demeurer sur ce constat navrant. Tellement triste qu'on n'ose imaginer l'échec définitif d'Isabelle Singer. Si des amateurs de littérature, si des cinéphiles, si des passionnés le veulent, « Maurice Pons en toutes saisons » devrait trouver sa place sur une des rares chaînes intelligentes. Arte conviendrait parfaitement. Dans l'attente, lisons et relisons « Les Saisons » sans oublier « Mlle B » ou « La Maison des Brasseurs ».

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