11 mars 2012

Nicolas Sarkozy, Thierry Mariani, le SERNAM et l’Union européenne : une histoire de fous !


Le SERNAM, ancien service national de messagerie, privatisé pour faciliter la concurrence voulue dans le transport par la Communauté économique européenne (CEE), est en mauvaise posture, menacé de fermeture pure et simple. 1.600 emplois sont en jeu dans ce qui ressemble à un très mauvais feuilleton.
Car cette affaire est exemplaire à plus d’un titre. Elle témoigne de l’aveuglement de l’Europe (la CEE d’abord, puis l’UE ensuite), bardée de ses certitudes idéologiques néolibérales et dont le credo est la règle de la concurrence libre et non faussée, frisant l’obsession maladive. C’est aussi la parfaite illustration de l’incompétence et de l’irresponsabilité de ceux qui nous ont gouvernés depuis plus de dix ans, à commencer par Nicolas Sarkozy, que ce soit à son poste de ministre d’État, ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie du gouvernement Raffarin III de 2004 à 2005, ou à celui de président de notre pauvre République. Jugez plutôt !
Le SERNAM, créé par la SNCF en 1970 afin d’assurer le transport des bagages et des colis à bord de ses trains était d’un coût environnemental très performant. En revanche son organisation complexe faisait obstacle à la politique de libéralisation des chemins de fer décidée par la CEE au début des années 1990. C’est pourquoi il fut progressivement délaissé au profit de la route. S’ensuivit le schéma classique des privatisations. Le service public sera d’abord transformé en société anonyme avant d’être privatisé en 2005.
Ce fut alors l’occasion, pour les actionnaires de cette nouvelle structure, au travers du fonds d’investissements Butler Capital Partners qui détient plus de 80% des actions, de réaliser de juteux profits par la vente des terrains appartenant au SERNAM, occupés par les anciennes plateformes logistiques, situées en zones urbaines à proximité des gares ; toutes opérations hautement spéculatives. Le SERNAM a été victime de ce qu’on appelle dans l’immobilier le système de la « vente à la découpe ». Autrement dit, dès sa privatisation, l’entreprise a été dépecée, morceau après morceau.
Et pendant que se gavaient ainsi les actionnaires, la situation de l’entreprise ainsi vidée d’une part importante de son capital, n’a cessé de se dégrader. Qu’importe ! Comme à chaque fois en pareil cas, on fait appel à l’État, donc au contribuable, qui sous forme d’aides, à la privatisation d’abord – on croit rêver ! – (100 millions d’euros), puis ensuite à la restructuration (503 millions d’euros), siphonnent les crédits publics.
Rien n’y fait. Le SERNAM se retrouve aujourd’hui en redressement judiciaire, menaçant de laisser sur le carreau 1.600 salariés. Il faut par conséquent trouver d’urgence un repreneur. Intervient alors Bruxelles qui charge la barque en exigeant le remboursement des aides indûment perçues, contraires à cette fameuse concurrence libre et non faussée.
Et c’est là qu’on voit réapparaître un certain Pierre Blayau (1). Pierre Blayau, vous ne connaissez pas ? Demandez aux anciens salariés de Moulinex. Ils sauront vous dire dans le détail qui est Pierre Blayau. Mais pour aller vite, c’est le dépeceur et le fossoyeur du groupe MOULINEX (5.200 salariés y ont perdu leur emploi), tâche pour laquelle il n’oubliera pas d’empocher à son départ une prime de 2 millions d’euros. Ce brillant exploit lui vaudra, en 2004 d’être mis en examen pour « banqueroute par emploi de moyens ruineux et banqueroute par détournement d’actifs ». Mais cette action en justice vient de s’éteindre à la surprise générale il y a quelques jours par un non lieu arrivant à point nommé, achevant ainsi d’écœurer les anciens de chez Moulinex.
Car le brave homme, lui, ne s’est pas retrouvé au chômage. À peine sorti de Moulinex, il a été recasé à la tête de Géodis, filiale logistique de la SNCF. C’est le retour dans le giron public. Gagnant à tous coups !
Pardonnez-nous cette digression, mais elle nous a paru nécessaire pour bien saisir l’ensemble des ressorts de cette affaire. Et revenons au SERNAM, sur lequel Géodis vient de faire une offre de reprise. Oui, mais attention : pas à n’importe quelles conditions. À condition que soit effacées du passif de l’entreprise les aides d’État dont Bruxelles demande le remboursement. Le piège s’est refermé.
C’est dans ce contexte à dormir debout où la cupidité des uns le dispute au dogmatisme des autres que survient la pieuse indignation de Thierry Mariani, ministre des Transports d’une majorité qui a été, pendant toutes ces années, complice de tous ces arrangements entre copains et coquins. Un ministre envoyé d’urgence par l’Élysée pour éteindre le feu à moins de deux mois du premier tour de la présidentielle. Thierry Mariani qui de surcroît se défausse des responsabilités de la majorité en accusant Bruxelles de tous les maux lorsqu’il est à Paris, mais dont les amis députés européens du Parti populaire européen (PPE) ont voté des deux mains à Strasbourg, les unes après les autres, les directives dont nous enregistrons aujourd’hui les conséquences désastreuses.
Vous n’avez pas tout compris de la logique qui voit une ancienne société publique, privatisée, en passe de revenir dans le giron de l’établissement public qu’est encore la SNCF par le biais d’une de ses filiales. Nous non plus ! Sauf à considérer que la logique n’est pas industrielle, mais est avant tout financière et en fin de parcours, électorale. C’est qu’entre temps, le SERNAM, privatisé, a été comme nous l’avons vu, nettoyé jusqu’à l’os. Ces manœuvres n’ont servi que la cupidité et la volonté de réaliser le maximum de profit à court terme par tous les moyens. Sans se soucier aucunement du devenir de l’entreprise comme de celui de ses salariés. Qui sont-ils, les cerveaux de ces machiavéliques besognes ? Une poignée d’affairistes sans scrupules à la tête desquels on retrouve toujours les mêmes. Ils sont ce qu’au Front de Gauche nous appelons l’oligarchie. Et parmi eux bon nombre d’anciens inspecteurs des Finances, lesquels après avoir conseillé dans le sens qui leur était favorable, les gouvernements de gauche comme de droite, sont passés au privé pour tirer les marrons du feu qu’ils y avaient eux-mêmes placés. M. Pierre Blayau, tout comme son excellent ami M. Jean-Charles Naouri (2) est un de ceux-là. Quant-au préjudice environnemental qu’a occasionné la suppression du trafic ferroviaire des colis au profit du trafic routier, et à l’irréversibilité du phénomène, puisque les terrains jouxtant les gares ont été vendus, soyons sûrs que c’est le cadet de leurs soucis. De cela nous n’en dirons qu’une chose : « l’environnement, ça commence à bien faire ! » (3)

Reynald Harlaut

(1) Pierre Blayau, ancien inspecteur des Finances, aujourd’hui président de Géodis, est un parfait exemple de ce que produit le système en place en terme de mélange des genres : public, privé, médias et sport. Se retrouvant, à la suite des nationalisations, à la tête de Saint-Gobain, il va poursuivre sa carrière dans le privé en passant par Pont-à-Mousson puis Pinault-Printemps-Redoute. C’est J.-Ch. Naouri qui le nomme à la tête de Moulinex. Nommé en 2005 par Canal+ à la présidence du Paris-Saint-Germain, il n’y fera qu’un court séjour bénévole, conservant dans le même temps son poste à la tête de Géodis.
(2) Jean-Charles Naouri, ancien inspecteur des Finances, aujourd’hui président du Groupe Casino, fut entre 1984 et 1986 le conseiller de Pierre Bérégovoy au ministère de l’Économie et des Finances. C’est lui qui lui fit prendre la décision ultralibérale de déréglementer les marchés financiers. Cette décision que beaucoup aujourd’hui qualifient du terme de « big-bang » est à l’origine de la financiarisation de l’économie et permettra ensuite d’opérer sans contraintes les délocalisations.
(3) Nicolas Sarkozy aux agriculteurs en 2011.

Sources :
Articles de presse :
Libération, du 09/03/2012 – Sernam : Bruxelles impose le remboursement de 642 millions d’euros.
La Croix, du 10/03/2012 – Géodis, filiale de la SNCF, dernier espoir pour la Sernam.
Wikipedia pour l’historique du SERNAM et pour les biographies de MM. Pierre Blayau et J.-Ch. Naouri.

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