18 octobre 2010

« La Grande Régression » par Jacques Généreux

(photo Jean-Charles Houel)

« C’est le titre qu’a donné à son dernier ouvrage l’économiste Jacques Généreux, professeur à Sciences Po, responsable des questions économiques au Parti de Gauche. Il était ce matin l’invité de France Culture pour le présenter et en débattre.

« Durant les vingt premières années de ma vie, j’ai grandi dans un monde où le destin des enfants semblait naturellement devoir être plus heureux que celui de leurs parents ; au cours des trente suivantes, j’ai vu mourir la promesse d’un monde meilleur. En une génération, la quasi-certitude d’un progrès s’est peu à peu effacée devant l’évidence d’une régression sociale, écologique, morale et politique, la «Grande Régression» qu’il est temps de nommer et de se représenter pour pouvoir la combattre.

Car la première force des malades et des prédateurs qui orchestrent cette tragédie est leur capacité à présenter celle-ci comme le nouveau visage du progrès. Et leur première alliée, c’est la perméabilité des esprits stressés, trop heureux de s’accrocher à n’importe quelle fable qui fasse baisser d’un cran la pression et l’angoisse. À l’âge de la démocratie d’opinion, les réactionnaires ne peuvent se contenter de démolir l’acquis des luttes passées en faveur d’une vie meilleure pour tous; il leur faut aussi anesthésier les résistances, susciter l’adhésion ou la résignation de leurs victimes; ils doivent remporter une bataille culturelle dont l’enjeu est de nous faire aimer la décadence. »

Le ton est donné. Jacques Généreux dénonce clairement le néolibéralisme à l’œuvre dans le monde depuis une trentaine d’années. L’idéologie selon laquelle seuls comptent le profit maximum et l’enrichissement personnel. La même qui conduit à mettre les États au service d’intérêts privés. À les ruiner en livrant à la privatisation tout ce qui peut rapporter des profits. Et à affirmer ensuite qu’ils n’ont plus les moyens d’assurer les services publics dont ils sont les garants : éducation, santé, culture, justice, sécurité, etc.

Les caisses sont vides ne cesse t-on de nous répéter. Mais à l’aide de quelques exemples, Jacques Généreux, montre que cette situation n’est pas la réalité, mais le résultat d’un tour de passe-passe comptable. La France est un pays riche. Très riche. Le cinquième état le plus riche au monde. Qu’on taxe de façon équitable l’ensemble des revenus et non comme c’est majoritairement le cas aujourd’hui ceux du travail, qu’on cesse d’exonérer les entreprises des charges sociales relatives par exemple aux heures supplémentaires, qu’on déplafonne les cotisations sociales sur les hauts salaires, et c’est plus de cent milliards d’euros qui entreraient à nouveau annuellement dans les caisses de l’État, rendant ainsi totalement inutiles la réforme des retraites et la réduction de la prise en charge des prestations de santé. Pour ne citer que ces deux points précis.

« La peur du désordre et des catastrophes ne soutient jamais l’aspiration au progrès social. Dans un monde à feu et à sang, tout comme dans un cinéma en flammes, des individus atterrés et dissociés ne revendiquent pas la justice et la solidarité, ils sauvent leur peau et n’espèrent qu’un retour à l’ordre. La victoire de la peur soutient toujours celle de la droite conservatrice, quand ce n’est pas celle des fascistes. De tout temps, les classes dominantes ont exploité et amplifié la hantise d’une agression étrangère, d’une catastrophe économique ou d’un désastre naturel, pour reléguer l’exigence de justice derrière le souci de l’ordre public et pour masquer la scandaleuse inégalité des conditions de vie sous le factice intérêt général de la survie. »
La question qui se pose est la suivante : jusqu’à quand les peuples accepteront-ils de leur plein gré l’asservissement auquel ils sont soumis par la pensée unique néolibérale, trop souvent relayée – il faut le déplorer – par des gouvernements sociaux-démocrates qui se déclarent impuissants à la combattre et à lui proposer des alternatives ? »

Reynald Harlaut
Parti de Gauche

Jacques Généreux, La Grande Régression, Éd. Seuil, 18 euros.

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