2 mai 2008

Mai 68 : « Faux insurgés et vrais parvenus » par Régis Debray

En 1968, Régis Debray est en prison, en Bolivie où il a suivi Che Guevara. Le leader castriste a été arrêté et assassiné. Régis Debray, lui, est condamné pour activités subersives et sortira des geoles boliviennes en 1971 avant de s'installer au Chili et de rentrer en France en 1973. En 1978, à l'occasion du 10e anniversaire des évènements de mai 1968, il écrit un texte qui « cherche à dessiller les yeux de tous ceux qui sont encore/toujours pris dans les « illusions lyriques ». Il donne son manuscrit à François Maspero qui le publie aussitôt. « Mai 68 : une contre-révolution réussie. »
A l'occasion du 40e anniversaire des évènements de mai 68 en France, le livre de Régis Debray est réédité aux éditions des « Mille et Une nuits ». Beaucoup de ce qu'il a écrit il y a trente ans demeure, selon ses dires, prémonitoire. « Mai 68, assure-t-il, est le berceau de la nouvelle société bourgeoise. » J'ai écouté Régis Debray invité de l'émission « c'est à dire » sur la 5. L'écrivain-philosophe des religions, conseiller de François Mitterrand, tiers-mondiste, n'a pas changé d'opinion. Bien au contraire. Il affirme que mai 68 a permis « aux libertaires de s'allier objectivement avec les libéraux ».

Extrait de l'avant-propos : Cela était paru chez Maspero au printemps 1978, sous un titre assez peu engageant : Modeste contribution aux discours et cérémonies officielles du dixième anniversaire. Le coup de pistolet dans un concert d'autosatisfactions lyriques sombra illico dans un épais silence réprobateur. Je remercie ces amicaux fouilleurs des ténèbres de m'avoir fait redécouvrir cette introuvable incongruité. Elle a plutôt gagné que perdu en actualité, ce dont je suis bien le dernier à me réjouir. Tordre le bâton dans l'autre sens pour le remettre droit est un exercice périlleux, qui ne va jamais sans injustice.

La remarque vaut pour n'importe quel soulèvement, comme pour son commentaire a pos­teriori. 1789 n'est pas invalidé par la Semaine sanglante de 1871 et Germinal, bien que l'interdiction des coalitions ouvrières et l'éloge de la propriété aient porté Auguste Thiers et le Comité des Forges dans ses flancs. Et le jugement équilibré qu'appelle à distance la République jacobine vaut sans doute aussi pour la démocratie d'opinion accouchée par Mai 68.

L'exaltation unilatérale et rien de moins que freudienne de la libido par l'«esprit de Mai» aurait pu mettre la puce à l'oreille des historiens de l'immédiat. Ce que l'individu gagnait en liberté, le citoyen n'allait-il pas bientôt le perdre en fraternité ? Et les citadins, en égalité ? Derrière une Love Parade ouverte à tous les exclus, des free parties sans interdits, se faufilaient, sans mot dire, le trader, l'insatiable show-biz et le tout-à-l'ego. C'est à repérer cette contre-révolution dans la révolution que ce pamphlet, à contretemps, s'était attaché. Fabriquer du consensus avec de la révolte relève d'une alchimie sans âge, qui fait le sel de l'histoire des sociétés, laquelle n'a de cesse de repasser les plats. Et reconvertir sa rébellion en argument d'autorité fait un vaudeville vieux comme le monde. Nous entrons tous dans l'histoire à reculons, y compris dans notre propre vie. S'il est devenu clair que, dans ma génération, le chemin du Fouquet's passait par un bref pèlerinage à la forteresse ouvrière de l'île Séguin, et celui d'un Disneyland bien réel par un Yenan imaginaire, pointer la grande et clandestine histoire d'amour qui se nouait en coulisse entre les outlaws de Mai et le tout-marchandise, entre de faux insurgés et de vrais parvenus, relevait il y a trente ans de l'offense inaudible. »

On peut, évidemment, ne pas être d'accord et ou ne pas être d'accord sur tout avec ce que défend Régis Debray. Mais son analyse (en 1978) sur la télé-réalité et l'image reine, l'invasion de la pub, le rejet du politique (Note du blogger : c'est plutôt négatif) l'éloge des femmes et des minorités (note du blogger : c'est plutôt positif) l'écologie et l'individualisme (ce qu'il appelle en une formule frappante « le tout à l'égo ») ou encore « le droit du sol s'est transformé en droit du seul »…Sans oublier l'alignement de l'idéologie française sur l'idéologie américaine. Quant à Sarkozy, Debray lui délivre son paquet : il veut liquider l'héritage de mai 68 mais c'est un adepte du « jouissez sans entrave. » Imagine-t-on de Gaulle au Fouquets ou sur le yacht de Bolloré ? Enfin, souvenons-nous du mariage d'Henri Weber, un éminent dirigeant du PS, de ses 800 invités (autant de droite que de gauche) de sa pleine page people dans le monde pour confirmer que certains soixante huitards ne jettent plus les pavés mais en tiennent le côté le plus élevé.

Nous évoquerons prochainement nos souvenirs de mai 68 à Louviers. Il y eut beaucoup de solidarité et des divergences politiques graves qui conduisirent les élus communistes à lâcher Ernest Martin, alors maire, quelques mois plus tard. MM. Ranger, Bertault, Laheye, Lerebours, claquèrent la porte avec fracas. Ce fut le début d'un séisme local dont les répliques n'ont pas fini de faire sentir leurs effets.

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